

Header par @Wounw et BBcode par @MayaShiz.
Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Par le sang,
Par les larmes,
Par la vie,
Par la chair,
Par les os,
Arrachez-moi à ces terres insipides, à ces saisons stériles, à ce soleil si fade et à ces nuits de cauchemars.
Que ce chemin de papiers qui accueille mes pas se change en sentier, et que l'air que je respire devienne un souffle de vie.
Ô, Mère, je vous en prie : sauvez-moi de ce monde.
Pour le sang,
Pour les larmes,
Pour la vie,
Pour la chair,
Pour les os,
Je vous remets mon or et mon âme.
Eel ou Odrialc'h, le nord ou le sud, l'est ou l'ouest, l'histoire doit planter sa racine quelque part.
La petite âme la plus fragile revêt son importance,
Celle qui s'est hissée près des hautes sphères qu'elle déteste aussi,
Celui qui regarde l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie,
Ou bien celle qui furète dans l'ombre,
Ils ont leur rôle à jouer.
Le battement d'aile d'une fée, dans leur royaume où l'hiver est maître, peut créer une tempête sur la cité blanche.
Dans les Abysses les plus profonds, si l'impératrice se réveille, elle sèmera une graine de chaos.
Loin, très loin, par-delà les falaises gardée par des monstres à deux machoîre, un souverain attend le retour de son épouse bien-aimée.
Mais à la fin, le monde se meurt.
Peut-il être sauvé ou bien faut-il l'abandonner ?


A tous les enfants d'Eldarya
Avant de poster un message :
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--> Merci de relire attentivement les règles du forum

Bonjour et bienvenue sur ce reboot d'Apotheosis !
Mais vers quel genre d'endroit vous a mené ce lien si étrange, sur lequel vous avez cliqué ? Les anciens aventuriers le savent déjà mais pour vous, les nouvelles têtes, je vais tout vous expliquer. Asseyez-vous confortablement, prenez quelque-chose à boire ou à manger et nous sommes partis.
La première réponse, c'est vers une rencontre entre deux univers.
Le mien, et celui d'Eldarya.
Ici, j'ai repoussé les frontières de la cité d'Eel pour peindre d'autres paysages avec mes mots et ainsi t'offrir cette histoire.
Vous suivrez les pas de certains personnages que vous connaissez déjà, mais que vous allez peut-être redécouvrir, et d'autres que vous rencontrerez.
Mais où vous mèneront leurs aventures ?
Eh bien… c'est à vous de décider.
La seconde réponse, donc, c'est vers une fiction interactive.
Qu'est-ce qu'une fiction interactive ?
Je m'explique :
Vus, chers lecteurs, en atterrissant sur cette fiction telle une jeune demoiselle ou un jeune damoiseau dans un cercle de champignons, vous vous êtes vu doter d'un immense pouvoir :
celui de choisir.Cette fiction est un entrelacs de plusieurs routes, qui seront déterminées par les choix effectués par les lecteurs à chaque fin de chapitre.
Ces derniers détermineront le sort des personnages de l'histoire ainsi que leurs évolutions au sein de cette fiction.
Grâce à vous ou à cause de vous, tout ce petit monde vivra des aventures qui mettront leurs vies en danger, ou bien qui garantiront leur survie jusqu'au point final de cette épopée.
Vous avez compris : ici, vous avez une mission.
Vous devez sauver le monde !
Rien que ça !
Mais comment s'y prend-t-on ?
Avec quelques mécaniques bien huilées !
Bien, maintenant que vous êtes déterminés à sauver le monde, je vais vous expliquer comment faire.
Vous avez compris que les choix étaient les pièces maîtresses de cette fiction et que c'est uniquement grâce à eux que l'histoire peut avancer.
Eh oui, chers lecteurs !
Vous êtes extrêmement importants. Si vous n'êtes pas là, cette histoire ne reste qu'une histoire au creux de ma tête et l'aventure s'arrête ici.
Ce sont vos décisions qui permettent de lui donner vie et pour ça, vous méritez des cookies !
Bref, on a un monde à sauver, nous !
Mais comment ça marche ?
À chaque fin de chapitre,
des choix types "a,b,c" seront proposés.
Parmi les réponses, il ne faudra en choisir qu'une seule en vous appuyant sur les indices donnés dans le chapitre.
Pour être certain ou certaine de faire le bon choix, il faudra simplement vous aider de la narration et essayer de visualiser les conséquences des actes ou des paroles du, ou des personnages, concerné ( s ) par le choix.
Chaque lecteur devra sélectionner la réponse qui lui semble appropriée et c'est la majorité qui l'emportera.
Un lecteur compte pour une voix.
Si jamais il y a égalité, alors c'est un générateur qui décidera.
Même si la mécanique a l'air simpliste, sachez qu'il pourra y avoir plusieurs choix à faire par chapitre et que ces derniers pourront, non seulement déterminer l'issue de l'histoire, mais également les amitiés de certains personnages, leurs amours et même leurs ennemis.
Vous l'avez compris, vous décidez de tout dans cette fiction.
Bien entendu, il y aura des relations préétablies entre certains personnages, mais un seul faux pas et elles volent en éclats.
C'est peut-être une bonne chose, parfois…
Vous êtes prêts ?
Alors le prologue vous attend avec votre premier choix !
Mais avant cela, je dois bien évidemment vous parler du reboot !
L'aventure que vous vous apprêtez à lire ici a déjà été écrite une première fois il y a deux ans.
Comme toutes premières versions, elle a connu des ajustements et des erreurs qui l'ont malheureusement conduite à une succession de choix beaucoup trop difficiles et de ce fait, à une mauvaise fin inévitable.
Quand on commence un projet en tant qu'auteure, on tatonne, on fait de son mieux, mais on fait des erreurs.
Ce qui est génial avec les erreurs, c'est qu'elles sont d'excellents professeurs et grâce à elles, j'ai pu réfléchir à ce reboot de la meilleure des façons.
Les nouvelles têtes ont tout un univers à découvrir mais pour vous, les anciens aventuriers d'
Apotheosis, vous allez constater quelques différences.
Comme je vous le disais lorsque j'ai proposé l'idée du reboot, la trame principale ne change pas d'un iota : vos acquis vous serviront et il reste encore plusieurs pans de l'histoire que vous n'avez pas encore découvert (les sélections, l'arc des humains, celui de la
Gehenne…).
Néanmoins et pour ce reboot, j'ai fignolé quelques détails et j'ai décidé d'insérer quelques ajustements.
Vous allez remarquer que la famille
Milliget n'est plus tout à fait la même, par exemple, tout simplement parce que j'ai choisi de respecter le lore original du personnage de
Candice qui ne peut pas être totalement lui-même s'il n'est pas entouré de sa sœur,
Ivoire.
Vous alllez remarquer aussi que
Nevra et
Rose ne se connaissent pas, que
Fawkes a décidé de rejoindre la
Garde de l'
Ombre et que
Leiftan est particulièrement gentil…
Ce sont des ajustements que j'ai décidé de faire afin d'apporter plus de logique et de consistance à l'aventure mais ne vous inquiétez pas.
Comme je le disais : les anciens aventuriers peuvent se reposer sur leurs acquis.
En tout cas, j'espère que vous serez tous satisfaits de ce reboot et des nouveautés qu'il vous apportera !
"Apotheosis" s'appuie sur l'univers d'Eldarya que nous avons tous découvert avec les épisodes du jeu, c'est un fait.
Cependant, j'ai choisi de modifier quelques points importants et pour la bonne compréhension de cette fiction, je vais vous les énumérer sous un spoiler.
TRÈS IMPORTANT : si vous n'avez pas terminé les épisodes de
"The Origin", je vous déconseille très fortement de dérouler le spoiler, au risque de vous gâcher des révélations sur l'histoire originale !
Si malgré tout vous décidez d'assouvir votre curiosité, alors c'est à vos risques et périls !
Modifications Importantes
➜ Nevra n'a pas de sœur. Karenn n'existe pas dans "Apotheosis".
➜ Valkyon est un faelien à l'ethnie indéterminée et non un dragon.
➜ Leiftan est un lorialet et non un Daemon.
➜ L'Eldarya qui vous sera présenté est un monde beaucoup plus sombre. Ne vous attendez pas à la même ambiance que le jeu original.
Aussi, j'en profite pour dire que cette histoire est déconseillé aux âmes sensibles.
Certaines scènes vont chatouiller les règles du forums sans les enfreindre, comme ce que je peux proposer avec mes
Contes
Interdits sur mon topic "
Rage d'
Ange et
Glaise
Putride".
Si vous vous savez particulièrement sensible, je vous déconseille l'aventure
Apotheosis.
Je suis une grande bavarde, alors laissez-moi vous parler de ce forum.
Vraiment c'est important, car je vais profiter de ce petit passage pour introduire nos invités et leur glisser un petit mot.
Je suis d'autant plus reconnaissante que mon cri du coeur face à la mort de ce forum ait été entendu et que bon nombre d'entre vous preniez votre temps, chaque jour, pour continuer de le faire vivre et entretenir cette belle communauté qui a permis de belles rencontres, mais aussi la réalisation de bon nombres de projet professionnels.
Je l'avais déjà dit dans mon post principal et libre à chaque personne que faire ce qu'elle veut. "
Le jeu est nul", "je m'en fiche de cet univers", "je n'ai pas le temps"...
On peut penser ce que l'on veut, mais je reste convaincue que la communauté eldaryenne est unique en son genre et qu'il serait très difficile de voir autant d'inspiration, tous supports confondus, réunie sur un seul et même forum.
Des amitiés se sont forgées ici, des vocations ont été trouvées et parfois, au cœur de moments difficiles, ce forum et sa communauté ont été une porte de sortie.
Je suis personnellement reconnaissante envers tout ce qu'il m'a apporté et le reboot de cette fiction est l'un des moyens, pour moi, de continuer à entretenir la nouvelle dynamique qui s'installe sur le forum.
Vous savez, l'être humain est ingrat par nature.
Nous savons prendre ce que l'on nous donne et une fois que nous nous sommes lassés, nous oublions la main qui nous a nourri.
Eh bien pour une fois, essayons d'inverser la tendance en entretenant un endroit qui nous a beaucoup apporté et qui pourrait, sans doute, permettre aux nouvelles têtes de se trouver une passion et d'y faire de belles rencontres !
Voilà sept ans que je traîne mes guêtres sur Eldarya, et durant ces sept années, j'ai pu rencontrer de très belles personnes ici.
Certaines d'entre elles sont devenues mes amis et j'avais envie de leur rendre hommage.
Pour saluer leurs univers et leurs OC extraordinaires, je leur ai dédié une petite place dans mon propre monde.
MayaShiz et
Waïtikka, deux superbes rencontres dans cet endroit débordant de créativité, et deux personnes chères à mon cœur.
Vous m'avez permis de m'améliorer dans ce vaste monde qu'est l'écriture, vous m'avez aidée et soutenue, alors je tiens à vous rendre la pareille avec cette histoire que je vous dédie.
Je prendrai soin de vos personnages comme s'ils étaient les miens et je vous propose de découvrir leur évolution dans cette vaste histoire qu'est "Apotheosis".
Sachez qu'à mes yeux, vous êtes des artistes et des écrivains exceptionnels, alors ne lâchez jamais votre plume !
MayaShiz, tu es l'une de mes plus belles rencontres sur Eldarya et tu es surtout ma meilleure amie. Tu es une personne avec beaucoup d'humour, intelligente et dont la pensée s'aligne toujours avec la mienne. Mon écriture ne serait jamais ce qu'elle est aujourd'hui sans la tienne, sans tout ce que j'ai appris de ta plume et encore moins de ces personnages qui sont nés en parallèle des tiens. Tu es ma co-auteure et la soeur que je n'ai jamais eu et tout ceci n'aurait pas été possible sans ce jour de flemme qui m'a poussée à aller traîner au Bastion, où nous avons pu discuter via post interposés avant de nous retrouver sur un RP. Le hasard fait toujours aussi bien les choses et ce jour-là, ça n'a jamais été aussi vrai.
Merci d'être la personne que tu es et continue de faire rêver les gens à travers ton formidable talent d'écriture !Waïtikka, tu es une personne extraordinaire ! Tu débordes de gentillesse et de douceur, et tu es quelqu'un qui écoute beaucoup et qui fait de son mieux pour aider autrui. Tu es le grand frère vers qui l'on peut se tourner lorsque l'on a besoin d'un conseil et surtout, tu es vraiment la personne qui m'a permis de me réconcilier avec l'écriture, grâce à tes judicieux conseils. Tu es vraiment une belle personne que je peux citer parmi mes plus belles rencontres sur ce jeu !Florianne, je te compte également comme une rencontre formidable sur ce forum ! Ta motivation et ton investissement sont contagieux et nous avons de la chance de t'avoir comme modératrice. Tu es une personne d'une très grande gentillesse et avec de belles idées, comme en atteste ton topic d'Eldarya sur planches, mais également ton personnage de Théanore que j'accueille avec grand plaisir dans sa famille de fées. Merci encore pour tout ce que tu fais pour ce forum, afin que tout le monde s'y sente bien et pour tous les gentils mots que tu laisses sur les topics de fictions, ils comptent énormément pour leurs auteurs et je pense que sans ta présence, beaucoup auraient abandonné leur histoire.Pour vous, je vous dédie ce projet.Place à vos bébés !
June Albalefko
Hélios Soare
Dessins par MayaShiz⁂Fawkes
Dessin par WaïtikkaKijan
Screenshot réalisé par Waitikka sur Final Fantasy XIV⁂Théanore Musca
Dessins par Florianne Parce que MayaShiz, Florianne et Waïtikka sont respectivement la maman et le papa de leurs personnages, ils auront accès à des choix personnels qui ne pourront pas être votés par les autres joueurs.Je ne vous en dis pas plus sur ces fameux invités, au risque de spoiler, mais je vous laisse les découvrir dans
"Apotheosis" !
Aussi, sachez que beaucoup de personnages présents dans Apotheosis me sont prêtés par
MayaShiz ! Je vous mets la liste ci-dessous car rendons à César ce qui est à César, et sachez que si vous les appréciez, vous pouvez les retrouver, avec June et Hélios (et même Rose !), dans sa fiction
Le Chant de Léthée.
Les personnages appartenant à MayaShiz :
➜ Balam Lefaucheur
➜ Ivoire Milliget
➜ Mathyz Rougaie
À présent, je vais enfin vous laisser avec le prologue.
Ce dernier vous offrira la possibilité de plonger un petit peu sous la surface de l'histoire mais surtout : il vous offrira l'occasion de faire votre premier choix.
J'espère que vous serez conquis par ce reboot et que vous y participerez avec plaisir !
Sachez que mes MP restent ouverts, que ce soit pour des petites questions ou simplement pour discuter.
Mais une chose : je suis incorruptible, alors n'essayez pas d'obtenir les bonnes réponses avec des cookies !
Mais surtout : amusez-vous.
Ce projet est là pour ça.
C'est un lieu de partage où la bonne humeur doit avoir sa place, alors même si vous faites de mauvais choix, ne prenez pas les choses trop à cœur.
Ce n'est pas grave !
Demain, le soleil se lèvera et vous vous en remettrez, je vous assure !
Alors voyez cette petite fiction comme le café, le bar ou le salon de thé où vous venez vous détendre après une journée bien chargée, car elle est là pour ça !
Je vous souhaite une bonne lecture à toutes et à tous !
La Liste des Aventuriers d'Apotheosis
Lulyah
Florianne
MayaShiz
Waitikka
Daraen
Tenace
Alric-Sasheris
Caprix
Artemis
Serenata
La Carte du Monde d'Eldarya

Prologue
Lorsque les rayons du soleil vinrent embrasser son front, Nevra s'éveilla en douceur. Dans quelques minutes, il savait qu'un domestique du domaine Mircalla viendrait toquer à la porte de sa chambre afin de lui indiquer que ses parents l'attendaient pour le petit déjeuner. Avant cela, il voulait remplir son esprit de belles pensées. C'était important.
Il repoussa ses couvertures, attrapa la robe de chambre qui reposait sur un siège en toile de Jiya, puis l'enfila. Il la détestait à souhait, cette robe de chambre. Les couleurs trop vives lui agressaient la rétine et le tissu précieux avait été tissé depuis la Triade d'Ohm pour représenter des écritures saintes que Nevra ne parvenait pas à lire. Tant pis. Il se planta devant la fenêtre cintrée de sa chambre à coucher et observa les jardins du domaine Mircalla. Le soleil matinal les couvait avec tendresse, faisant jouer les reflets sur les feuillages et transformant l'herbe en tapis d'or. C'étaient des jardins destinés à recevoir du monde pour organiser des piques-niques ou bien permettre à des enfants de courir sur la pelouse. Les vampires appréciaient le soleil à petites doses et tant qu'il n'était pas trop chaud. Par bonheur, Eel recevait souvent le vent du nord et sa fraîcheur bienvenue.
Trois coup à la porte, puis une voix annonça :
— Jeune Maître, Monsieur et Madame sont prêts à prendre le petit-déjeuner. Ils vous attendent pour commencer.
— C'est très aimable de leur part, ironisa Nevra, hélas je ne suis pas prêt. Ils vont devoir attendre encore un peu.
Le domestique devait grimacer derrière la porte mais fort heureusement, il ne subirait pas les foudres d'Iris et de Narcisse Mircalla. Personne n'était responsable de la bêtise crasse de Nevra hormis lui-même. Sa mère aussi, mais seulement quand Narcisse était de très mauvaise humeur.
Nevra se mit à siffloter en continuant d'observer les jardins. C'était un air à la harpe qu'il avait déjà entendu lors de ses rares visites au grand palais d'Odrialc'h, quand il restait coincé dans le salon des invités pendant que ses parents faisaient des ronds de jambes à la noblesse qui prenait le thé, en espérant gratter quelques privilèges.
Lorsqu'il eut assez apprécié le panorama, Nevra se dirigea vers son armoire, sortit du linge de toilette ainsi que son uniforme de Chef de l'Ombre, puis fila se laver. Il se baigna dans plusieurs huiles, dont une qui sentait le bois de tonka, sa fragrance préférée. Il prit le temps d'apprécier la chaleur de son bain, la solitude dans cette pièce beaucoup trop grande et le reflet de son corps pâle dans le long miroir qui occupait un pan de mur entier. Nevra n'avait pas besoin de toute cette démesure pour savoir à quoi il ressemblait. Il se connaissait assez bien, il avait eu tout le temps du monde pour inspecter chaque parcelle de son être depuis qu'il était enfant, juste pour vérifier les dires de ses parents. Il avait appris très tôt qu'ils étaient de très bons menteurs. Ou bien des menteurs malheureux. Ils se pensaient tout-puissant, comme les vampires des récits humains mais la réalité, c'était que l'espèce en elle-même, sur Eldarya, était truffée de défauts.
Nevra sortit du bain. Il sécha sa peau dont les veines apparentes formaient des arbres de sang, et ses épais cheveux d'ébènes, l'une des seules grâces de son espèce. Il n'en dira pas autant lorsqu'il nettoiera les vilaines taches rouges sur ses dents, témoins des repas saignants qu'il devait avaler plusieurs fois par jours juste pour rester en bonne condition. Quelle autre espèce était obligée de s'infliger le même sort pour rester en bonne santé ?
Tout en sifflotant de nouveau, Nevra s'habilla. Il terminait de boutonner sa chemise et de passer sa veste indigo aux liserés d'or, symbole de sa fonction, quand il devina la rage sourde au rez-de-chaussée. Elle polluait l'atmosphère aussi sûrement qu'un nuage de cendres et Nevra adressa un sourire chafouin aux dalles de sa salle de bain. Il était fin prêt pour aller prendre son petit-déjeuner.
Quand il descendit le grand escalier qui reliait les étages au rez-de-chaussée, la voix grinçante de son père travaillait cent fois mieux le bois du manoir que le temps. Elle maugréait, maugréait, pestait, écrasait ce sinistre déchet qu'il avait engendré dans le ventre de sa femme… Ah, mais voilà ! Sa femme était responsable. La bêtise n'était pas l'apanage des Mircalla, cela devait venir du côté de sa famille. Après tout, son frère n'était qu'un bon à rien et son cousin, un ouvrier stupide qui taillait des jouets en bois pour les enfants. Toute cette folie aurait dû être écrasée par le nom sacré de Mircalla, mais force était de constater que la bêtise avait de beaux jours devant elle…
— Tu crois que tu as le droit de faire attendre tes parents comme bon te semble, imbécile d'insolent ? gronda Narcisse, ce n'est pas parce que tu es adulte que je ne peux pas te corriger !
— Ah, je ne le sais que trop bien, mon œil droit s'en souvient, chantonna Nevra.
Il adressa un sourire trop poli à son père, puis un regard à sa mère. Le premier avait la figure aussi rouge que le sang qu'il se languissait de consommer et la seconde fixait son assiette vide. Narcisse et Iris Mircalla étaient de beaux vampires. Ils le pouvaient, ils s'étaient économisés toute leur vie. C'était la raison pour laquelle ils ignoraient tout des défauts de leur espèce. Ils ne voyaient pas les vampires qui travaillaient au sein de la Garde de l'Ombre, par exemple, se fatiguer à s'entraîner et devoir persévérer deux fois plus que les autres pour atteindre un niveau acceptable. Ils ne voyaient pas non plus les vampires blessés, à l'hôpital, se remettre difficilement de leurs blessures et Narcisse Mircalla qui n'avait pas vécu la grossesse, ni l'accouchement de sa femme, ne savait pas à quel point c'était terrible de mettre un enfant au monde. Le corps d'un vampire était faible, si faible qu'il ne produisait pas assez de nutriments pour nourrir son propre organisme. Le vampire devait donc combler cette faiblesse en ingérant du sang. Mais au moins, il avait de beaux cheveux, c'était déjà ça.
Nevra prit place face à son père. Si ses yeux céruléens avaient pu tuer, Nevra ne serait déjà plus de ce monde, mais il n'y prêta aucune attention et accrocha sa serviette au col de sa chemise. Ici, il était le moins obséquieux de tous et il s'en remerciait. Son père et sa mère étaient ce que l'on attendait d'eux : des êtres qui arboraient leur fortune dans de l'apparat qui semblait peser trop lourd sur leurs silhouettes. Leurs domestiques mettaient un temps fou, chaque matin, à les laver, les habiller et les maquiller. Une mascarade qui visait à les rendre présentables, mais qui était vite gâchée par leurs manières et leurs esprits.
— Tu as vraiment une sale gueule, l'attaqua Narcisse pendant que le petit-déjeuner était en train d'être servi, je me demande pourquoi tu te fais prier tous les matins. Tu pourrais nous faire la grâce de nous libérer de ta présence.
— Vous avez l'estomac noué ? demande Nevra en se servant une bonne part de tourte.
— Qui n'aurait pas l'estomac noué face à un déchet de ton genre ?
Nevra se contenta de hausser les épaules. Les années lui avaient appris que lutter face à la méchanceté de son père était une bataille de longue haleine et perdue d'avance. Son esprit rebelle avait essayé, pourtant, puis Valkyon lui avait enseigné une phrase qui ne le quittait jamais : à force de regarder les abîmes, les abîmes finissent par te regarder. Nevra n'avait aucune intention de devenir les abîmes qui rongeaient Narcisse.
Pendant que son père mangeait, Nevra profita d'un petit instant de paix. Il jeta une œillade à sa mère, qui coupait sa propre part de tourte en tout petits morceaux qu'elle mangeait du bout des dents. Nevra lui adressa un sourire aimable et lui demanda comment elle allait, ce matin.
— Ah, tais-toi ! lui rétorqua Iris, tu me coupes l'appétit !
— Bien, navré de vous avoir dérangée.
Nevra n'en voulait pas à sa mère. Elle savait que son amertume envers lui était la seule façon pour elle de gagner quelques miettes d'amour auprès de Narcisse. Autour de cette table, c'était très certainement elle, la reine des menteuses. Elle essayait de se convaincre, depuis trente-deux ans, que son mari était l'homme dont elle rêvait et que devenir une épouse Mircalla était l'apogée de son existence. La seule ombre au tableau, c'était bien entendu ce fils qui refusait de se ranger sous le tissu d'une vie précise que l'on avait tissée pour lui, bien avant qu'il naisse.
Le repas se termina dans un calme funèbre. Une fois qu'on lui servit sa poche de sang, Nevra l'avala, puis quitta la table, non sans souhaiter une bonne journée à ses parents. Il se hâta vers la porte du manoir Mircalla et lorsqu'il l'ouvrit, le vent de la liberté et le soleil clément vinrent lui embrasser la figure. Là, il n'était plus Nevra Mircalla, mais Nevra le Chef de la Garde de l'Ombre, prêt à prendre ses fonctions.
Mais avant cela, il marcha avec entrain jusqu'à la falaise qui surplombait la mer du Prisme, non loin du Quartier Général. Ce rituel achevait d'apporter de belles pensées dans son esprit. Ensuite, l'attendaient une réunion, le rapport de Fawkes sur les réseaux de tap en activité, celui d'Enthraa Kellerman, la Seconde de l'Ombre… Toutes ces personnes qui travaillaient pour et avec lui. Surtout avec lui.
— Valkyon, mon ami ! Comment est le vent, aujourd'hui ?
La haute silhouette du Chef de l'Obsidienne se retourna. Les bras croisés sur son torse massif, Valkyon Batatume lui offrit un sourire aimable, aussi doux que sa personne. Le vent salin battait ses cheveux blancs et déposait des baisers sur sa peau matte, tannée par le soleil.
— Frais. C'est une belle journée, tu dois être heureux.
— Je le suis ! s'enthousiasma Nevra, d'ailleurs j'ai eu une excellente idée de cadeau pour tes quarante ans.
— Je n'ai pas encore quarante ans, rit Valkyon, laisse-moi le temps de vieillir.
Il en totalisait à peine trente-sept, mais visiblement, ses quarante ans revêtait une grande importance dans l'esprit de son meilleur ami de toujours qui tenait à les immortaliser avec une grande fête. Mais Valkyon savait qu'il plaisantait car Nevra ne le mettrait jamais dans l'embarras de cette façon.
Ils observèrent l'horizon quelques instants, puis le Chef de l'Ombre demanda :
— Joseph ne te manque pas trop ?
— Ma foi, tu sais remuer le couteau dans la plaie.
Joseph Ael Diskaret était un membre important de la garde civil, au sein de l'Obsidienne. Il avait déménagé à Odrialc'h, avait son épouse, son fils et sa fille adoptive voilà déjà deux semaines et son départ avait ému beaucoup de monde. Joseph était loyal à la Garde, mais il avait pensé aux opportunités qu'Odrialc'h pouvait offrir à sa famille.
— Le monde change, réfléchit Valkyon d'une voix lointaine, et les vies aussi.
— Pas pour tout le monde. En attendant, nous avons toujours Ezarel à la tête de l'Absynthe et si nous sommes encore en retard à la réunion, nous allons rêver en elfique, ce soir.
Valkyon pouffa en secouant la tête, mais reconnut que son ami avait raison. Il s'engagea vers le Quartier Général, où leur matinée serait dédiée à cette fameuse réunion et Nevra s'étira en faisant mine de s'en ennuyer. Puis un coup de vent fit claquer les pans de sa veste et il frissonna. Il jeta un bref regard vers l'horizon.
Le fond de l'air était particulièrement frais.
***
Depuis sa petite place, sur le siège de l'énorme calèche qui emmenait sa famille et ses affaires jusqu'à leur nouvelle maison, Helouri regardait sa nouvelle vie. À l'extérieur, le déménagement des Ael Diskaret devait ressembler à une longue procession car beaucoup de curieux s'étaient arrêtés dans leur routine pour observer.
— Lou ! Viens voir ! Vite !
De son côté, June ne perdait pas une miette de la cité d'Odrialc'h. Elle ne tenait plus en place depuis que le bateau avait quitté la cité d'Eel, trois jours plus tôt et Helouri savait qu'elle avait hâte de visiter la cité. Il n'était pas inquiet pour elle. June saurait vite trouver sa place.
Il se pencha à sa fenêtre et elle lui montra le grand palais, juché sur le plus haut quartier d'Odrialc'h, qui ressemblait à une couronne posée sur son trône.
— On pourra prendre un aéronef pour aller visiter les beaux quartiers, s'enthousiasma June, et si on a de la chance, on pourra voir un serviteur personnel ou peut-être même la Capitaine !
Ils seraient chanceux de pouvoir, ne serait-ce qu'apercevoir, de si éminentes figures, en effet. La Capitaine était une véritable légende dans tout Eldarya et quant aux serviteurs personnels, remporter de difficiles sélections parmi des milliers d'autres candidats leur avait déjà valu leur propre lot de célébrité.
Helouri adressa un sourire à sa grande sœur. June et lui étaient aussi différents que de l'eau et de l'huile, non seulement par l'espèce mais aussi par l'esprit. June était un faelienne à l'ethnie indéterminée qui avait été adoptée par un famille de morgans lorsqu'elle était petite et qu'elle vivait à l'orphelinat de la cité d'Eel. Du haut de ses sept ans et même si elle savait qu'elle avait perdu ses vrais parents, elle continuait de vivre, de sourire, de rire et de jouer. Son énergie, c'était sa façon à elle de repousser le magma désagréable qui bouillonnait au fond de son être et qui aurait pu la submerger pour lui faire goûter le vide, si elle n'avait pas trouvé une famille.
Les Ael Diskaret quant à eux, avaient donné naissance à un fils unique. Un fils à la silhouette famélique, avec la peau glacée, aussi bleue que celle de son père et aux boucles nacrées qui cascadaient jusqu'au milieu de son dos. Comme tous les morgans, il avait besoin de l'océan et le considérait comme une entité vivante, mais ses branchies atrophiées, soudées entre elles par la peau, ne lui permettrait jamais d'aller nager. Peut-être que ses parents s'étaient tournés vers l'adoption de peur de mettre un autre enfant malformé au monde, mais Helouri n'y croyait pas. Il les savait assez bons pour faire le choix d'offrir un avenir et une famille à une enfant qui n'avait pas eu de chance avec la vie.
June n'avait pas beaucoup changée avec les années. Elle était toujours aussi énergique, souriante et même si elle entraînait Helouri dans ses plans parfois rocambolesques, ce dernier n'aurait jamais voulu quelqu'un d'autre pour être sa grande sœur. Il observait sa longue natte de cheveux cendrés qui traversait son uniforme de la Garde Obsidienne comme une flèche et il devinait ses yeux, d'un violet améthyste, pétiller face à cette nouvelle cité, ce vaste terrain de jeu qu'elle se languissait de découvrir.
— Qu'est-ce que tu vas faire, June ? lui demande Helouri, tu vas rejoindre le corps armée d'Odrialc'h, comme papa ?
June avait toujours suivi les pas de Joseph. Elle était un véritable rayon de soleil, mais Joseph avait très vite compris qu'elle avait sa part d'ombre et que comme tout enfant qui avait tout perdu, elle était en colère sans avoir de coupable à blâmer. Alors très tôt, Joseph l'avait fait frapper dans des sacs de graines et ensuite, il l'avait emmenée au terrain d'entraînement de la Garde Obsidienne. Là-bas, June avait pu s'entraîner avec Joseph, mais aussi avec Vikram, le père de Valkyon Batatume, qui était à la tête de la Garde au rubis pendant que son fils se trouvait en mission aux îles du Qi. Là-bas, auprès d'eux et d'autres guerriers, June avait pu trouver sa voie. Elle disait souvent qu'elle était petite et pas très forte, mais qu'elle serait un soutien sans faille pour ses confrères qui savaient manier des armes lourdes. Au contraire, Helouri la trouvait très forte. Lui, il n'avait rien d'un combattant, rien en commun avec son père et avec June. Il préférait ordonner la maison, aider sa mère à préparer les repas, écrire, lire, apprendre et broder pour se changer les idées. Pendant que June s'entrainait dans l'arène des obsidiens, il travaillait d'arrache-pieds pour entrer dans la Garde Absynthe et étudier la médecine, mais il n'avait jamais réussi.
— Je ne sais pas, répondit June en haussant les épaules, je vais d'abord voir tout ce qu'on peut faire à Odrialc'h et après, je vais me décider.
— Si tu entrais dans l'armée, tu pourrais peut-être te retrouver directement sous le commandement de la Capitaine, réfléchit Helouri.
June pouffa et lui ébouriffa les cheveux. Non, c'était beaucoup plus compliqué que ça, de se retrouver parmi le peloton sous le commandement direct de la Capitaine. Il fallait faire ses preuves, avoir un parcours exemplaire ou bien accomplir un exploit pour Odrialc'h, mais Helouri était adorable de la croire capable de telles choses.
La calèche s'arrêta et ils se précipitèrent tous les deux pour regarder dehors. Quand leur nouvelle maison leur apparut enfin, ils sautèrent hors de l'habitacle, toutes questions sur l'avenir envolée. Pour l'instant, tout ce qui comptait, c'était cette belle maison de pierre, haute de trois étages qui leur promettait de nouveaux souvenirs. Elle n'était pas très loin du port, un point essentiel pour une famille de morgans qui ne pouvaient pas vivre sans l'océan et elle n'attendait plus qu'eux afin qu'ils puissent commencer, ensemble, leur nouvelle vie.
***
Les bâtiments de la police d'Odrialc'h se trouvaient dans le quartier de Meskem. Le Gouverneur Suprême tenait à ce que tous les services municipaux puissent être à la disposition de la population. Fuya pouffa. De toute façon, les hautes sphères n'avaient pas besoin de la police, elles profitaient déjà de la protection des gardes royaux. La vie devait être confortable au grand palais d'Odrialc'h.
Fuya se reconcentra sur sa mission. Son visage arborait un sérieux sans pareil pendant qu'elle faisait jouer sa mémoire photographique. Elle avait attendu le bon moment pour s'infiltrer parmi la police d'Odrialc'h et obtenir l'information que voulait Titan. L'ennui, c'était que tous les membres de cette fichue police se savaient la cible des différents cartels et celui des Typhons ne faisait pas exception. Néanmoins, il était plus malin. Il savait agir au bon moment et il comptait, parmi ses rangs, une espionne de talent. Fuya sourit. Elle avait appris avec les meilleurs.
Sous son uniforme de policière, reproduit à la perfection aux Abysses, le marché noir, elle marchait d'un pas décidé parmi les bâtiments et saluait ses supérieurs comme le voulait le code d'honneur. Dans son cas, c'était surtout pour se payer leur tête.
Fuya avait tressé ses longs cheveux d'un rose pastel, puis les avait dissimulés sous une perruque brune. Il y en avait des superbes aux Abysses, et Ryan lui avait rapporté exactement celle qu'elle voulait. Maintenant, tout se jouait dans la gestion du temps.
Ce matin, le quartier de Meskem était encombré à cause d'un emménagement. Les calèches transportant les affaires de la nouvelle famille s'étaient succédées les unes après les autres, attirant l'attention des curieux. Au moins, Fuya avait pu en profiter pour essayer son nouveau déguisement et passer devant les gardes civils. Elle avait remercié cette famille en pensées car ainsi habillée en policière, elle avait fait passer la nouvelle de la parade des Alfirin à la population. Il y aurait plus de monde que prévu et de ce fait, la police d'Eel enverrait d'autres gardes civils, ce qui laisserait les bâtiments sans défenses, surtout pour Fuya.
Bien. Titan voulait une information particulière. Un plan, à vrai dire. Celui de l'Ulcère. Il s'agissait d'un chemin condamné qui reliait une partie du grand palais au riche quartier de Davazenn. À l'époque, on l'utilisait beaucoup pour faire entrer le personnel qui ne vivait pas au palais, mais aussi d'autres intervenants. Ce chemin avait été baptisé l'Ulcère car il était dangereux pour la sécurité du palais, mais tout de même utile car très réglementé et ceux qui l'empruntaient ne pouvaient pas aller où ils voulaient. À présent, l'Ulcère n'existait plus, mais Titan pensait le contraire et qu'une faille de ce genre était forcément bien gardée entre les mains de la police d'Odrialc'h. Dans le bâtiment central où se trouvaient les bureaux des gradés, évidemment, ainsi que celui du chef de la police d'Odrialc'h, Tenjin Gozen.
Fuya se dirigea vers le bâtiment central d'un pas décidé. Elle devait agir comme une policière qui savait exactement où elle allait et elle savait que tous les rapports étaient écrits et remis directement en ces lieux. Comme elle s'y attendait, c'était nettement moins peuplé. La plupart des gardes civils étaient descendus dans les rues afin de surveiller les mouvements de foule pendant la parade des Alfirin. Fuya trouvait cela ridicule. En quoi une éminente famille du grand palais qui descendait se promener en carrosse constituait un spectacle ? Enfin, ça l'arrangeait bien.
Au moment où elle se hâtait vers la porte à double-battants du bâtiment central, quelqu'un l'ouvrit. Fuya se figea, prête à se mettre au garde à vous, mais il ne s'agissait que d'un apprenti inspecteur. Un rouleau de parchemin scellé à la main, il se dirigeait vers la volière, où un pterocorvus serait prêt à emporter son message où il le souhaitait.
Fuya songeait que les inspecteurs et leurs apprentis dégageaient tous un aura particulière. Sinistre ou tordue. Celui-là, il cochait toutes les cases du premier cas. Il était un vampire entièrement vêtu de noir, avec un rideau de cheveux sombres qui reposait sur ses épaules comme une cape, puis une frange épaisse qui lui mangeait la moitié du visage. Même le vert opalin de ses yeux ne parvenait pas à apporter un petit peu de vie à cette silhouette dont chaque mouvement était dicté par la rigueur. Fuya ne lui prêtait plus aucune attention. Elle n'avait rien à craindre d'un vampire car celui-ci, n'avait ni le pouvoir, ni la créativité et l'intelligence nécessaire pour se montrer redoutable. Alors elle grimpa les marches vers le bâtiment central.
— Excusez-moi.
Fuya mit un instant avant de comprendre que c'était elle, que l'on interpellait de la sorte. Elle serra les mâchoires, jurant intérieurement contre l'importun, puis se retourna en se constituant un sourire aimable. Lorsque ses yeux bleus rencontrèrent ceux de l'apprenti inspecteur, elle se fit la réflexion que finalement, ce spectre sinistre pouvait parler. Non seulement il parlait mais en plus, il la dévisageait ouvertement, ses sourcils froncés sous sa lourde frange.
— Oui ? répondit-elle d'une voix avenante, comme une nouvelle recrue pleine d'entrain, vous avez besoin de quelque chose ?
— Vous ne faites pas partie de la police.
Sans se démonter, Fuya se mit à pouffer. Dans ce genre de cas, il était bon de passer pour une idiote. Les autres se méfiaient moins et elle parvenait même à faire germer le doute, dans leurs esprits. Ici, elle était une recrue un petit peu naïve et pleine d'idéaux.
— Je suis nouvelle. J'ai passé mon examen d'entrée pendant la session d'Arieh, voilà pourquoi vous ne m'avez jamais vue. Mais c'est un petit peu rude de me juger de cette façon.
Elle fit la moue, mais c'était peine perdue. L'apprenti inspecteur était certain de ce qu'il disait et de ce qu'il voyait.
— J'ai assisté à la remise de diplômes de la session Arieh et vous n'en faisiez pas partie.
— Alors vous n'êtes pas très physionomiste.
— Au contraire. J'ai une très bonne mémoire des visages.
Fuya souffla par le nez. Il était franchement agaçant, cet apprenti inspecteur qui refusait de la laisser tranquille. Les mains derrière le dos, elle descendit les marches, un sourire confiant sur les lèvres. Arrivée à sa hauteur, elle souffla que c'était dommage. Ils auraient pu faire équipe. Puis d'un geste vif, elle tira une seringue de sa manche et visa le cou.
Quand il s'effondra au sol, elle se fit la réflexion que les somnifères de Ryan étaient vraiment très efficaces. Heureusement qu'elle en avait emporté. Elle jeta un regard agacé au vampire endormi. Il était peut-être physionomiste, mais ses réflexes laissaient à désirer.
Fuya se dépêcha de le saisir sous les aisselles pour le cacher derrière la volière, quand elle se rappela du parchemin qu'il tenait dans la main. Curieuse, elle s'en saisit, brisa le sceau de cire et le déroula.
Un large sourire étira ses lèvres. Aujourd'hui était une excellente journée et en plus du plan de l'Ulcère qu'elle allait dérober, elle rapporterait une autre information de qualité et Titan serait ravie.
***
Le vent salin faisait bruisser les feuillages et c'était comme si la forêt respirait. Depuis les remparts de la cité d'Eel, Balam regardait la vie s'animer parmi un paysage qu'il connaissait par cœur. Là, affublé de la tunique azurée des guetteurs, son arc sur l'épaule, il perdait son regard opaque, d'un blanc d'albâtre sur cette forêt qui semblait toujours repousser la cité d'Eel vers la falaise. Elle laissait des dunes de sable à l'air libre, où une herbe haute poussait pour lui donner un côté vallonné. Les enfants aimaient beaucoup y jouer et les parents pouvaient dormir sur leurs deux oreilles, parce qu'ils savaient qu'ils étaient protégés depuis les remparts.
Parfois, Balam surprenait un pimpel en train de quitter son terrier et d'autres fois, c'étaient des dalafas, qui pointaient leurs museaux timides aux abords de la forêt, sans jamais oser s'aventurer hors de son sein. Puis en contrebas, l'océan, ses remous et l'odeur saline portée par le vent.
Aujourd'hui, il venait du nord et il était particulièrement frais. Balam leva une main pour le goûter sur sa peau. La température, aux Terres Gelées du Grand Nord, avait dû connaître une belle vague de froid pour chuter ainsi.
— M'sieur Balam, on va rester planté là toute la journée ? C'est ça, le boulot ?
Patient, Balam croisa les bras sur sa poitrine, puis se tourna vers Alaric. Le jeune morgan de seize ans le fixait avec son regard écarlate, qui jurait avec sa peau bleue ainsi que sa masse de cheveux noirs. Alaric était surtout un adolescent tourné vers la bêtise. Sa dernière œuvre en date était le vol à la tire au sein du marché d'Eel, avant qu'il ne se fasse pincer par les gardes civils. Il était jeune, il y avait encore de l'espoir pour lui, alors le programme de réinsertion qu'il suivait lui permettait de découvrir les différents métiers proposés par la Garde d'Eel.
— Nous surveillons les environs, répondit doctement Balam, mais le métier de guetteur ne s'arrête pas là. Nous devons également nous occuper des titres de séjours ainsi que de l'accueil des étrangers au sein de la cité. C'est important.
— Alors ça veut dire qu'on va se taper la paperasse ? C'est d'un chiant !
Alaric bougonna dans son coin, et Balam le laissa à ses pensées. Le milieu de la matinée approchait et un marchand de perles, qui avait écoulé son stock de marchandises, repartirait bientôt pour le village d'Amzer. Il lui faudrait reprendre son autorisation de vente et lui en faire une autre pour la prochaine. Alaric n'avait pas tout à fait tort : les guetteurs étaient aussi des grattes-papiers. Ça ne dérangeait pas Balam outre mesure, tant qu'on le laissait tranquille sur les remparts.
— Et il regarde l'herbe qui verdoie et le soleil qui poudroie, encore et toujours, chantonna un voix que Balam connaissait bien.
— Le Chef de l'Ombre n'a-t-il pas ses obligations ? sourit Balam alors qu'il terminait de préparer la prochaine autorisation du marchand.
Nevra Mircalla grimpa sur les remparts et Alaric le fixa avec de grands yeux. Il reçut un clin d'œil en réponse.
Nevra ouvrit les bras pour accueillir le vent frais et il poussa un soupir d'aise. Il en avait assez de la chaleur qui persistait même si l'été devait être terminé depuis longtemps.
— Les obligations sont des chaînes que j'enfile à ma guise mais par bonheur, me voilà un vampire libre.
— Le Chef Batatume n'en a pas terminé avec les siennes ? demande Balam.
— Le pauvre homme ! le plaignit Nevra.
Les mains derrière le dos, il observa le paysage à son tour et Balam le laissa faire. Il savait que Nevra appréciait sa discrétion. Il savait aussi que Nevra savait qu'il savait. Les murs du domaine Mircalla étaient un rempart pour ceux qui ne s'y intéressaient pas, mais pour quelqu'un comme Balam qui avait appris à regarder les autres pour ce qu'ils sont vraiment, la solitude et le chagrin étaient aussi visibles que les étoiles en pleine nuit.
Après le paysage, Nevra s'intéressa à Alaric. Après quelques réponses monosyllabiques, jetées du bout des lèvres, Alaric finit par laisser la méfiance de côté lorsque Nevra lui raconta une enquête. C'était celle d'un jeune triton qui volait les personnes âgées en emportant leur bourse d'or et qui avait fini par tout dépenser dans les herbes à fumer. Balam savait que cette enquête n'existait même pas mais à la fin, Alaric voulait savoir comment les traqueurs de l'Ombre travaillaient et comment on faisait, pour devenir inspecteur.
— Et les inspecteurs se déguisent pour infiltrer le marché noir ? s'enquit Alaric, captivé.
— Non, ça, c'est plus du ressort des Spectres. Les Spectres sont formés pour se fondre parmi le marché noir. Ce sont nos meilleurs éléments car le jour où leur couverture se brise, c'en est fini d'eux.
— Et les traqueurs ?
— Ils font circuler les informations…
Comme un élève devant son professeur, Alaric écoutait avec attention. Pendant ce temps, Balam pouvait se plonger dans ses pensées. Il se demandait quel livre il lirait ce soir, dans sa petite maison sur le port d'Eel ou bien si Valkyon lui proposerait de marcher aux Jardins de la Musique. Là, ils partageraient une conversation philosophique et Balam les appréciait.
En attendant, il fixait son regard opaque sur la forêt, là où quelques lappys prenaient leur envol et il observait leur ballet avant de remarquer qu'une partie de la forêt, à l'est, semblait comme endormie. Visiblement, les black dogs étaient de sortie et la chasse commençait.
Les Choix
Une fois n'est pas coutume, pour ce reboot, vous allez choisir votre nouveau narrateur parmi les quatre que vous venez de lire ! Comme vous avez pu le constater, deux narrateurs vous font démarrer l'aventure à Eel et deux autres, à Odrialc'h.
Pour vous aider un peu plus, voici les portraits de vos narrateurs ainsi que quelques petites précisions :
Nevra Mircalla
Dessin réalisé par Wounw
Nevra Mircalla est un vampire de 32 ans et Chef de la Garde de l'Ombre, qui représente la police de la cité d'Eel.
Si vous avez l'âme d'un Chef, suivre Nevra vous permettra d'avoir accès à de précieuses informations, envoyer vos gardiens en missions, travailler avec votre Second de l'Ombre, Enthraa Kellerman, et mener des enquêtes. Vous aurez toutes les ressources nécessaires à portée de main pour percer les mystères des évènements à venir mais attention : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.
Helouri Ael Diskaret
Dessin réalisé par Lynara
Helouri Ael Diskaret est un morgan de 21 ans. Il a emménagé à Odrialc'h avec ses parents ainsi que June, sa grande sœur adoptive. Frêle et famélique, il n'a pas l'étoffe d'un combattant et préfère l'érudition. Helouri souhaité devenir médecin mais malheureusement, il n'a jamais réussi l'examen d'entrée pour la Garde Absynthe, qui lui aurait permis d'étudier la médecine. Helouri se demande si ça vaut la peine de continuer et s'il devrait persévérer dans cette voie à Odrialc'h. Que va lui apporter la plus grande cité d'Eldarya, avec tous les mystères qu'elle recèle ?
Helouri est narrateur quia besoin d'évoluer, mais qui sait sur quel chemin vous allez choisir de le mener.
Fuya Pyle
Dessin réalisé par ZuzoHyo
Fuya Pyle est une sirène de 19 ans qui fait partie du cartel des Typhons, sous les ordres de Titan. Agile, bonne combattante et avec une mémoire photographique, Fuya est souvent envoyée en mission d'infiltration pour dérober des plans et des informations. Depuis qu'elle est jeune adolescente, Fuya a su évoluer dans les ténèbres et elle se bat pour l'idéal du cartel : empêcher la conquête terrienne.
Fuya est une narratrice qui ne vous laissera aucun répit ! Vous allez devoir réaliser des missions complexes, évoluer en aux troubles et poursuivre l'idéal du cartel. Néanmoins, réussir vos missions vont vous donner accès à de précieuses informations, mais aussi vous conduire vers de potentiels et puissants alliés. Avec Fuya, réfléchissez aux plans de concert avec Titan, faites vos rapports de missions et voyagez dans tout Eldarya. Mais attention ! Le cartel est recherché par toutes les milices et ce qui vous attend si vous vous faites capturer, c'est la prison, puis la peine capitale.
Balam Lefaucheur
Dessin réalisé par Makaria
Balam Lefaucheur est un elfe noir de 30 ans qui est guetteur à la cité d'Eel. C'est une personne très sage qui n'aspire qu'à vivre un quotidien paisible. Il est très appréciés de ses collègues, proche de Nevra et Valkyon et il a la faculté de regarder au-delà des apparences.
Balam est le narrateur le plus calme des quatre. L'accompagner, c'est plonger dans son esprit, faire preuve de curiosité, prêter attention au monde qui vous entoure et accueillir les évènements avec un calme religieux, aussi pénibles soient-ils. Il faudra être un socle pour ses amis et parfois, repousser cette sérénité qui vous est si précieuse pour se plonger dans l'adversité. Mais Balam ne sera jamais seul.

Note de l'Auteure
Bien le bonjour à vous en ce samedi soir (^_^)/
Me voici enfin pour poster ce premier chapitre du reboot d'Apotheosis. Navrée pour le retard, la grippe m'a eue et je n'ai pu retourner à l'écriture que jeudi. Prenez soin de vous car elle est particulièrement énervée cette année !
En tout cas, vous voici avec ce premier chapitre qui vous apportera beaucoup d'éléments. Vous allez accompagner Nevra, Fawkes, June, Hélios et Théanore. Tout le monde aura un choix global à faire et quant à nos invités, ils auront un choix personnel supplémentaire. Vous avez dix jours pour voter, alors n'hésitez pas à discuter entre vous, comme la bonne équipe d'aventuriers que vous êtes !
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture ! (^_^)/
Chapitre 1 - Le Sourire Noir
Il boutonna sa veste d'uniforme en fredonnant cette chanson qui lui trottait dans la tête. Pas jusqu'au en haut, parce que ça faisait austère. De plus, Nevra avait l'impression que sa veste voulait l'étrangler et il n'avait pas envie de se battre avec elle de si bon matin. Il jeta un œil à la fenêtre de sa chambre. Derrière les croisillons, il vit que le soleil se cachait derrière d'épais nuages en laissant une paix royale aux jardins des Mircalla ainsi qu'aux vampires. Ce serait une journée idéale, assez fraîche, dédiée à la paperasse en plein air, à une matinée de rapports ainsi qu'à ce que Nevra appelait la méditation observatrice. Cela consistait à monter sur les remparts de la cité pour guetter le paysage avec Balam tout en profitant du calme des lieux. Bien entendu, Nevra ne pourrait pas s'empêcher de parler. Il aimait beaucoup parler, même pour ne rien dire. Il pensait que c'était parce qu'il était si perturbé par la voix grinçante de son père ainsi que des silences pesant lors des repas, qu'il avait besoin de faire du bruit. C'était une façon de les faire disparaître. Au départ, Nevra était persuadé que Balam ne l'écoutait pas, alors il avait déjà tenté de se payer la tête du pauvre guetteur en racontant des insanités pour lui demander, ensuite, s'il écoutait. Et bien sûr que Balam écoutait. Il était attentif, alors quand Nevra lui avait demandé de répéter ce qu'il avait dit mot pour mot, Balam l'avait fait.
Eh bien, vous avez dit que nous irions faire une orgie sur la plage, avec les poissons, et que vous me baiseriez jusqu'à l'os avec les lapys pour témoins. Navré, Nevra, mais je ne suis pas intéressé par votre projet.
Nevra pouffa en se regardant dans la glace du grand miroir de sa chambre. Les grossièretés ne seyaient pas du tout à Balam. Ce jour-là, ses collègues avaient ri et Nevra s'était retrouvé ridicule devant sa propre farce.
Il soupira quand il entendit le manoir grincer. Son père allait finir par exploser, s'il ne se montrait pas à l'instant au petit-déjeuner et Nevra n'avait pas envie de se battre contre lui non plus. Il n'était pas très en forme, à vrai dire. Il avait mal dormi. Il avait rêvé que le sol de sa chambre était couvert de sang et que quelqu'un avait massacré des pimpels. Leurs cadavres séchaient sous un soleil de plomb là-dehors et les jardins des Mircalla étaient devenus l'enfer.
Nevra acheva de décoiffer savamment ses cheveux avant de quitter sa chambre pour rejoindre la terrasse. Quand le soleil se cachait, ses parents aimaient prendre le petit-déjeuner à l'extérieur, mais ça ne rendait pas Narcisse Mircalla aimable pour autant. Depuis les escaliers, Nevra pouvait l'entendre maugréer à quel point sa vermine de fils ne méritait rien d'autre qu'un rat dans son assiette. Oui, il faudrait demander aux brigadiers, ces courageuses âmes qui se rendaient sur Terre pour rapporter des vivres, d'attraper ces vilaines bêtes pour le fils indigne des Mircalla. Les matins où il oserait faire attendre ses parents, Narcisse demanderait à ce qu'un rat lui soit servi et il devrait en boire le sang jusqu'à la dernière goutte, peu importe à quel point c'était ignoble.
Nevra souffla par le nez. Il existait des vampires qui seraient heureux d'avoir un rat pour le petit-déjeuner. Les poches de sang coûtaient de plus en plus cher et l'appel des dons auprès de la population contre de l'or ne fonctionnait plus aussi bien à cause de la pénurie de vivres. Certains faeliens trop carencés se voyaient refuser l'accès au don du sang et les élus manquaient à l'appel. Donc un rat, ça n'était pas si mal en fin de compte.
— Tiens donc, ma douce, regarde qui voilà, grogna Narcisse à l'attention de sa femme, la tare de la famille.
— Bonjour à vous aussi, mes chers parents, répondit Nevra en s'installant.
Il dessina un sourire sur son visage, puis attendit d'être servi. Les serviteurs s'affairèrent dans leur ballet habituel pendant qu'un silence pesant s'installait autour de la table. Une brise fraîche faisait bruisser les bosquets et buissons alentour, habilement taillés par les jardiniers.
Nevra remarqua que sa mère était plus rayonnante. Elle devait cela au ma douce prononcé par Narcisse, bien que ça ne voulait plus rien dire aujourd'hui. C'était devenu un tic de langage et la valeur qu'Iris Mircalla y accordait ne trouvait pas son reflet dans le regard ni le cœur de son mari.
— Comment allez-vous ? lui demanda Nevra.
— Vas-tu gâcher mon petit-déjeuner aujourd'hui aussi ? persifla Iris.
— Excusez-moi.
Le sang avait un goût fade, ce matin, comme tous les jours. Il sera plus savoureux à midi, au réfectoire, avec les conversations et le rire de Valkyon, mais aussi les verres levés et les plaisanteries de ses gardiens de l'Ombre qui boiraient à sa santé.
Une fois libéré du petit-déjeuner, Nevra quitta le domaine des Mircalla, mais aussi toute la tension qui pesait sur ses épaules. Il offrit son visage au vent salin qui le revigora et, fidèle à leur rituel, il rejoignit Valkyon sur la falaise. Le grand faelien fixait l'horizon, les bras croisés sur son large torse. Nevra savait que c'était sa façon de se ressourcer avant de reprendre l'entraînement des recrues, d'étudier ses rapports de missions et de travailler de concert avec la Garde de l'Ombre. Les inspecteurs et les traqueurs avaient souvent besoin de forces armées pour mener à bien leurs enquêtes, surtout lorsque la police d'Eel, comme celle d'Odrialc'h, possédait beaucoup de vampires en son sein qui avaient besoin d'être protégés.
— Alors, que te murmure la mer ? lui lança Nevra.
— Elle m'a annoncé ta venue, c'est déjà une bonne chose, sourit Valkyon en se retournant.
— Quelle fidèle admiratrice !
Nevra balaya l'océan du regard. Aujourd'hui, il faisait grise mine. Il semblait endormi et ses vagues venaient embrasser le rivage avec une torpeur lourde qui changeait beaucoup des rouleaux habituels.
Nevra s'appuya sur le bras de Valkyon.
— Tu n'as pas beaucoup mangé, ce matin ? lui demanda ce dernier en fronçant les sourcils.
— Très peu. Mais j'ai une poche qui m'attend sagement dans mon bureau. Elle a le goût de la paix et crois-moi que c'est délicieux.
Nevra lui fit un clin d'œil et ils commencèrent à marcher vers la cité. Au loin, le quartier général se dressait derrière les habitations et le centre-ville telle une tour d'ivoire. On y retrouvait toute l'administration d'Eel ainsi que les appartements des membres de l'Étincelante, mais aussi l'hôpital universitaire. D'ailleurs, la Garde Absynthe était la seule à siéger au quartier général puisque ses membres travaillaient de concert avec les médecins quand certains d'entre eux n'étudiaient pas pour le devenir. Ezarel Sequoïa, à la tête de l'Absynthe, était lui-même médecin ainsi qu'alchimiste de renom. Quant à Valkyon et Nevra - les pauvres hères, comme aimait dire ce dernier - leurs Gardes étaient mêlées à la cité. Celle de l'Ombre se trouvait en plein centre-ville, non loin du marché et celle de l'Obsidienne, plus excentrée vers les remparts.
— Des nouvelles de l'enquête sur le tap ? s'enquit le Chef de l'Obsidienne.
— Fawkes est rentré dans la nuit, alors j'en saurai plus ce matin. J'espère qu'il a de bonnes nouvelles à m'apporter car si les réseaux de revendeurs n'ont pas eu le temps de plonger leurs racines sur le continent, ce sera plus facile de s'en débarrasser.
— Le chef de la police d'Odrialc'h m'a envoyé une missive pour demander des effectifs. La garde civil protège les citoyens, mais Tenjin voudrait des gardiens affiliés à la protection des enquêteurs et de leurs apprentis.
— Tenjin rêve surtout de démanteler tous les trafics de tap qui sévissent à Odrialc'h, mais il mène une guerre perdue d'avance. Pendant qu'il concentre ses enquêteurs sur cette affaire, les cartels en profitent pour faire leurs marchés, réfléchit Nevra.
Valkyon souffla par le nez. Le tap était une véritable malédiction apportée par les goules, sur des routes maritimes que personne n'avait jamais réussi à trouver. On disait qu'elles venaient du nord, par delà les montagnes noires et ceux qui avaient voulu enquêter n'étaient jamais revenus.
La mort qu'elles vendaient était une drogue qui permettait aux plus malheureux de fuir la réalité dans de longs rêves et aux plus obstinés de développer leurs capacités intellectuelles afin de mémoriser les études les plus cruelles, comme celles de la médecine. Ezarel soupçonnait certains de ses étudiants de consommer du tap alors, pendant la dernière réunion inter-gardes, il avait demandé à ce qu'une enquête soit menée afin de découvrir si des réseaux de revendeurs s'étaient installés sur le continent du Beryx. Nevra, quant à lui, en était certain mais avant qu'Eel et les villages alentours deviennent aussi gangrénés qu'Odrialc'h, le mal pouvait être coupé à la racine. De toute manière, si les soupçons d'Ezarel étaient fondés, les étudiants en questions finiraient par se révéler d'eux-mêmes, parce que le tap laissait des traces sur le corps : les lèvres de ses adeptes finissaient toujours par noircir. Ils tentaient de le cacher avec du maquillage, mais la vérité se révélait un jour ou l'autre. De plus, leurs cheveux devenaient filasses et avec le temps, ils tombaient par poignées jusqu'à les laisser chauves. Puis à la fin, c'était leur cerveau qui s'éteignait. Les consommateurs du tap perdaient la mémoire, ne reconnaissaient plus leurs proches et faisaient des crises de démence. Des services d'addictions avaient ouverts dans de nombreux hôpitaux pour s'occuper de ces personnes, mais aucun médecin ne savait comment faire disparaître les effets de cette drogue.
— Je te ferai parvenir une copie du rapport de Fawkes, décida Nevra, et selon ce qu'il aura trouvé, nous aurons peut-être une descente à faire.
— Très bien, sourit Valkyon, dans ce cas, Tenjin devra attendre ses effectifs. Je vais composer une équipe de gardiens prêts à être déployés. Il faudra les mettre au parfum sur l'enquête, mais une petite réunion devrait arranger ça.
Nevra administra une tape amicale sur l'épaule de son ami. Les bâtiments de la Garde Obsidienne, avec leur colisé d'entraînement, approchaient. Nevra devinait sans mal que les nouvelles recrues devaient déjà être en train de s'entraîner sous la tutelle des vétérans. Pour avoir visité les quartiers de l'Obsidienne à plusieurs reprises, le Chef de l'Ombre savait qu'ils étaient accueillants et qu'il y régnait une discipline naturelle ainsi qu'un véritable esprit d'équipe. Les obsidiens étaient aussi efficaces que les ombres. Ils avaient l'habitude de travailler ensemble et le résultat de leurs nombreuses associations n'était plus à prouver. À Odrialc'h, Tenjin Gozen, le chef de la police, faisait de son mieux pour solliciter l'aide du corps armée, mais les effectifs manquaient à l'appel.
Lorsque Nevra atteignit le centre-ville d'Eel, le marché s'installait. Les falotiers éteignaient les derniers réverbères pendant que les marchands dépliaient leurs étals et dressaient leurs tentes. Les mains derrière le dos, Nevra prit le temps de regarder les différentes marchandises en train d'être mises en valeur, jusqu'à son présentoir préféré qui avait plus l'allure d'une petite pension.
Nevra s'arrêta devant l'élevage de familiers. Il eut un sourire face aux petits crylasms qui buvaient dans un abreuvoir, aux bécolas blottis contre leur mère, aux corkos qui se baignaient dans des baquets et aux sitourches qui semblaient menacer tous les passants du regard.
Nevra observa les éleveurs et leurs familiers puis quand il trouva celle qu'il cherchait, il l'interpella :
— Hélà, beauté des océans !
Une sirène d'une vingtaine d'année, occupée à aider un bébé skanis à boire, se releva pour lui lancer un regard las qu'elle ne maintint pas longtemps. Son visage doré se fendit d'un sourire chaleureux. À vrai dire, toute sa personne respirait la bienveillance, de ses cheveux nacrés qu'elle nouait en un chignon qui pesait contre sa nuque comme un fruit, dans ses yeux d'un joli parme et jusqu'au bas de sa robe d'un bleu pervenche. Elle se pencha pour attraper délicatement le petit skanis qui se recroquevilla dans ses bras.
— La flatterie ne fonctionne toujours pas avec moi, Monsieur Mircalla.
— Décidément, la beauté est une longue tyrannie, se plaignit Nevra, comment vas-tu, Alajéa ?
Alajéa Edam travaillait en tant qu'éleveuse pour le compte des purrekos, en particulier Purrerru, issue d'une longue lignée d'éleveurs de familiers. Les purrekos étaient réputés pour choisir leurs partenaires faeliens avec le plus grand soin et dans le cas d'Alajéa, ce n'était pas étonnant puisque la sirène avait été secourue par Purrobald, le grand-père de Purrerru. Nevra ne connaissait pas les détails, mais Alajéa employait toujours le terme sauver.
Elle lui raconta ses dernières aventures aux Terres Gelées du Grand Nord. Elle était partie avec d'autres éleveurs pour s'approcher des skanis. En cette période, les femelles mettaient bas et bon nombre d'entre elles abandonnaient leurs petits les plus faibles.
— Nous en avons récupéré beaucoup cette année, expliqua Alajéa, tous n'ont malheureusement pas survécu, mais cette petite se remet, malgré ce que sa mère lui a fait.
Elle lui montra le bébé qu'elle portait dans les bras. Nevra remarqua qu'elle était défigurée, que son museau était tordu et ses yeux, inégaux.
— Elle a été mordue par sa mère, repris Alajéa, les dégâts étaient importants. Heureusement que Purrerru a pu l'opérer rapidement. Néanmoins, j'ai peur que personne ne veuille l'adopter.
Nevra hocha la tête. Beaucoup de nobles familles désireuses d'avoir des familiers domestiques faisaient appel à Purrerru et il était certain que cette petite skanis ne remplirait jamais leurs exigences. Même ici, à Eel, les gens plus modestes n'en voudraient pas.
Il cligna des paupières quand des formes apparurent dans sa vision, puis songea qu'il était temps de se rendre à son bureau pour boire sa poche de sang. Il prit congé d'Alajéa, puis rejoignit la Garde de l'Ombre, dont le bâtiment se dressait non loin du marché.
Il n'avait pas l'allure impériale du quartier général ni celle, plus guerrière, de la Garde Obsidienne mais Nevra appréciait sa simplicité. Plus sombre, cylindrique, avec de multiples fenêtres qui ressemblaient à des yeux, il comptait de nombreux bureaux et salles de réunions dans ses étages, puis la prison d'Eel dans ses profondeurs. Nevra entra par la porte cochère, puis apprécia l'atmosphère de sa Garde.
Valkyon avait beaucoup de mal, quand il venait lui rendre visite, car tout était toujours en mouvement. Les inspecteurs et les traqueurs étaient pressés, les couloirs encombrés par des chariots que l'on utilisait pour transporter les caisses avec les preuves et les portes des bureaux, toujours ouvertes. On se hélait d'un bout à l'autre, on criait les noms des inspecteurs, on organisait des réunions à la va-vite pour s'échanger des informations… Nevra disait que le crime ne se reposait jamais et la Garde de l'Ombre pouvait en témoigner. Au rez-de-chaussée, il y avait des victimes à attendre, au guichet, et pendant la nuit, des gardes civils emmenaient des ivrognes décuver en prison. Puis en haut, à la volière, des pterocorvus garantissaient la liaison entre Eel et Odrialc'h.
Sur le chemin jusqu'à son bureau, Nevra salua ses gardiens. Certains d'entre eux lui affirmèrent que Fawkes était bel et bien rentré cette nuit et qu'il avait dormi en salle de repos afin d'être prêt pour son rapport, ce matin. Il avait déjà pu échanger avec la Seconde de l'Ombre, Enthraa Kellerman et il avait trouvé la piste d'un réseau de tap en devenir. Nevra fronça les sourcils et se hâta. Il fallait en finir au plus vite.
Son bureau se situait au troisième étage, tout comme celui d'Enthraa. À l'image du reste de la Garde, Nevra ne s'était pas occupé de le décorer car ce qui comptait, c'était d'être efficace. Et puis il avait bien assez des fioritures arrogantes du manoir Mircalla pour en rajouter sur son lieu de travail. Une fois à l'intérieur, il verrouilla la porte derrière lui, se dirigea vers un petit coffre-fort noir qui siègeait dans une armoire, l'ouvrit, puis attrapa la poche de sang dont il se reput. Nevra poussa un soupir d'aise. Son corps se détendit, satisfait d'avoir reçu les nutriments nécessaires.
Il achevait de s'essuyer la bouche quand on toqua à sa porte. Nevra enleva le verrou, puis invita la personne à entrer.
— Chef Mircalla, le salua la voix d'Enthraa.
— Une seconde plus tôt et je ressemblais à un black dog.
Sa plaisanterie ne fit sourire que lui, mais Nevra ne s'en formalisa pas. Enthraa était ainsi. Inspectrice depuis vingt-deux ans et Seconde de l'Ombre depuis sept ans, elle était l'une des pierres angulaires de la Garde. Enthraa Kellerman était connue du côté des truands pour être un fléau car quand elle avait une proie dans le collimateur, elle déployait beaucoup de moyens pour la capturer. Sauf que toutes les règles avaient des exceptions et celles d'Enthraa, c'était Titan, la cheffe du cartel des Typhons et Sexta Stoker, l'Impératrice des Abysses. Deux cibles insaisissables qu'elle rêvait de faire monter sur l'échafaud.
— Fawkes est prêt à vous faire son rapport, déclara simplement Enthraa.
— Il a trouvé quelque chose ?
— En effet. Il nous attend dans la salle de réunion numéro neuf.
— Réactif, sourit Nevra.
Sans plus attendre, Nevra et sa Seconde se dirigèrent vers la salle en question. Le Chef de l'Ombre remercia mentalement Valkyon de préparer une équipe de gardiens prêts à être déployés car dans les heures à venir, le temps deviendrait leur ennemi. Si un embryon de réseau de trafiquants se mettait en place, il fallait vite le détruire dans l'œuf.
Lorsque Nevra entra dans la salle de réunion, Fawkes était en train d'annoter une carte du continent pendant qu'à ses côtés, un jeune loup-garou s'agitait, manifestement agacé par les refus successifs de son collègue.
— S'il te plaît !
— Non.
— Juste une fois ! Une mission sur le terrain, une seule !
— Je t'ai déjà dit non.
Le loup-garou poussa un soupir agacé, puis Fawkes encercla une partie de la forêt d'Albacore, qui bordait Eel. Son air concentré dessinait une ride sur son front pendant que ses yeux bruns suivaient un chemin hypothétique sur la carte. Dévoué à sa mission, Fawkes n'avait pas pris le temps de se raser et une barbe de quelques jours commençait à pousser. Ses oreilles animales de renard-garou suivaient les bruits de la Garde sans troubler sa concentration et quand il daigna quitter la carte des yeux, ce fut pour saluer son Chef.
— Chef Mircalla.
— Gardien Fawkes, si Chrome a fini de vous pépier dans les oreilles, je suis prêt à entendre votre rapport.
— Je ne pépie pas ! s'insurgea l'intéressé, mais Chef… J'en ai marre des mises en situation ! Je veux juste partir en mission et j'aimerais bien suivre celles du gardien Fawkes ! Il enquête sur le tap pendant que moi je dois faire semblant de m'intéresser aux troupeaux de crylasms volés !
— C'est vrai qu'il va falloir revoir les scénarios des simulations, songea Nevra.
Chrome eut l'air dépité et Nevra se massa le front. Chrome Talbot était un apprenti traqueur qui avait hâte d'aller sur le terrain seulement, il n'était pas prêt. Il avait toujours la fâcheuse manie de se laisser distraire. Il avait aussi de grandes difficultés dans la lecture. Il disait que les lettres se mélangeaient et qu'il n'arrivait pas à les remettre en ordre. À la place, il avait développé ses capacités de mémorisation et il était capable d'écouter une conversation puis de la rapporter au mot près.
— Chrome, l'interpella Nevra avec plus de sérieux, premièrement, vous vous trouvez dans une salle de réunion alors que vous n'y avez pas été convié. Deuxièmement, vous ennuyez le gardien Fawkes lors d'un rapport important sur une mission capitale dans l'affaire du tap. Il y a un moment propice pour chaque chose, nous en avons déjà discuté.
— Je sais… soupira Chrome, je suis désolé, d'accord ? Je vais retourner en simulation. Sauver les troupeaux de crylasms.
Il acheva la phrase avec une grimace de mépris, puis quitta la pièce. Nevra rangea le cas de Chrome Talbot dans un coin de son esprit, puis s'intéressa à la carte que Fawkes avait annotée. Il croisa les bras sur sa poitrine, puis invita Fawkes à faire son rapport :
— J'imagine que vous avez trouvé quelque chose et des gardiens de l'Obsidienne vont être prêts à se joindre à l'enquête. Quelle est la situation ?
— Je suis allé jusqu'à Amzer, raconta Fawkes, en commençant par enquêter à Albacore. Beaucoup de marchands font une halte là-bas et j'ai appris qu'ils avaient modifié leur itinéraire. À cause des black dogs.
— Les black dogs ?
Nevra fronça les sourcils. Les black dogs étaient des familiers très agressifs qui chassaient en meute et causaient de véritables carnages. Ils avaient été une menace sans précédent pour le petit village d'Albacore, mais aussi pour la Garde Obsidienne qui avait dû les repousser quelques années plus tôt. Par bonheur, on avait fini par découvrir qu'ils détestaient l'odeur du rozmarin, alors la Garde Absynthe en avait fait pousser toute une barrière pour délimiter le territoire des black dogs.
— Les barrières de rozmarins ont été détruites ? s'enquit Nevra.
— Non, répondit Fawkes, je suis allé voir et elles sont toujours là. Sauf que les black dogs ont bougé et honnêtement, Chef, s'ils l'ont fait c'est qu'ils sont tombés sur plus dangereux qu'eux.
Il leva les yeux vers Nevra, puis acheva :
— Des goules.
Le visage du Chef de l'Ombre se fendit de surprise. Il échangea un regard alarmé avec Enthraa pendant que son esprit réfléchissait à toute vitesse :
— Les goules empruntent leur propre route pour le trafic du tap. Elles savent nettoyer derrière elles pour ne pas être retrouvées. Vous pensez vraiment qu'elles pourraient se cacher dans la forêt ?
— Je le pense pas, j'en suis sûr, grogna Fawkes, j'ai passé la barrière de rozmarin et j'ai trouvé le cadavre d'un black dog. C'est du venin de goule qui l'a tué.
Pour illustrer ses propos, Fawkes tira une petite fiole de sa ceinture. À l'intérieur, une substance noire, poisseuse, collait aux parois et Nevra reconnut sans mal le venin que les goules expulsaient de leur organisme pour l'implanter dans celui de leurs victimes. On en retrouvait souvent sur les cadavres d'anciens trafiquants qui avaient essayé de les tromper sur le pourcentage des ventes du tap.
— Si ça, c'est pas pour nous narguer… ajouta Fawkes.
— Évidemment que c'est pour nous narguer, cracha Enthraa, ces choses se croient invincibles et elles croient aussi que la graine de leur foutu réseau, sur le Beryx, va pousser. Mais nous allons l'arracher et nous finiront bien par trouver leur route maritime !
— Sauf qu'avec le souci des goules, il ne faut pas oublier celui des black dogs. Je vais demander à ce que Valkyon déploie ses gardiens pendant que nous ferons une descente dans la forêt. Fawkes, tu as appris autre chose à Amzer ?
Amzer était un village peuplé par les morgans, tout au sud du continent. Les marchands finissaient leur route chez eux pour voyager en bateau jusqu'à Odrialc'h et revenir avec d'autres articles à vendre. Les morgans étaient connus pour être un peuple pacifique qui accueillaient volontiers les étrangers dans leur village, à condition qu'ils respectent leurs rites pour l'océan qu'ils considéraient comme un déesse.
— Les morgans ont rien vu de particulier. Les marchands les ont prévenus que quelque chose n'allait pas dans la forêt et ça les a surpris car si une goule avait accosté sur le continent, ils en auraient forcément entendu parler. Leurs pêcheurs de perles s'aventurent assez loin.
— Ces goules ne sont tout de même pas sorties de nulle part, réfléchit Enthraa, à moins que quelqu'un cherche à brouiller les pistes.
Les deux mains à plat sur la table, elle lança un regard mauvais à la carte, comme si elle s'était transformée en goule, puis poursuivi son hypothèse :
— Amzer voit beaucoup de bateaux marchands en provenance d'Odrialc'h. Si un revendeur voulait bâtir un réseau de tap à Eel pour le compte des goules, il lui suffirait de dissimuler la drogue et du venin dans ses marchandises.
— La douane les aurait forcément trouvés, intervint Nevra.
— La douane est en sous-effectif depuis que les marchands ne veulent plus payer de taxes au port d'Eel et les morgans sont trop gentils, persista Enthraa.
Nevra souffla par le nez. Il avait déjà rapporté aux Étincelants qu'augmenter les taxes sur les marchandises en provenance d'Odrialc'h finirait par causer des soucis de ce genre. Les morgans ne se plaignaient pas des arrivées massives de marchands dans leur village, qui modifiaient leur itinéraire mais en effet, ce pourrait être une aubaine pour des trafiquants venus implanter un réseau de tap.
Nevra ferma brièvement les yeux. Il n'y avait pas de temps à perdre, alors il allait envoyer une missive à Valkyon pour faire préparer ses gardiens.
— Gardien Fawkes. Allez vous reposer. Vous viendrez prendre vos ordres en fin d'après-midi.
Le gardien Fawkes obtempéra. Il roula sa carte et partit en salle de repos récupérer ses heures de sommeil.
Eménagement de la famille Ael Diskaret à Odrialc'h (RP)
De grandes remorques en bois transformaient une partie de la rue en file d'attente, mais les gens s'en moquaient. Les plus curieux observaient cet emménagement soudain, au sein du quartier de Meskem et non loin du port. D'ailleurs, un bateau en provenance de la cité d'Eel avait pu acheminer beaucoup d'affaires, des souvenirs d'une vie ayant survécu à un énorme tri, prêts à s'installer au sein d'une nouvelle maison.
Elle était spacieuse, cette maison. Elle avait de quoi abriter une famille entière, avec un vaste salon qui rendraient les soirées les plus froides chaleureuses, grâce à la cheminée qui ferait ronfler un feu bienvenue, mais également les repas. Deux faeliens, un troll et un orc, étaient en train de monter une longue table. Dans la cuisine, une morgan d'une quarantaine d'année pestait contre le désordre dans l'une des boîtes qui devait contenir uniquement la vaisselle :
— Joseph ! Qu'est-ce que tes chaussures font avec mon service à thé ?
— Je ne sais pas, ma chérie. J'imagine qu'elles en ont eu assez des tiennes et qu'elles ont décidé de prendre l'air, plaisanta un grand morgan qui installait un bas de buffet.
À l'étage, leur fils cadet déballait ses affaires, puis les rangeait avec le plus grand soin. Des cernes discrètes soulignaient un regard d'argent, et s'étalaient sur sa peau glacée pour traduire sa fatigue du déménagement. Il y avait encore beaucoup à faire. Les prochains jours, ils devraient tous vivre parmi les boîtes en bois, jusqu'à ce qu'elles soient entièrement vidées. Ensuite, Joseph irait les porter jusqu'à l'atelier d'un menuisier qui les avait réclamées afin de les transformer en mobilier.
Assis en tailleur sur son lit, Helouri pliait ses vêtements. Plus tôt, son père et sa sœur s'étaient occupés de monter son sommier ainsi que d'installer son matela. Son armoire, elle, trônait déjà dans sa chambre et il devait en remercier les déménageurs.
Ses doigts graciles pliaient ses pantalons pendant que sous sa masse de boucles nacrées, son esprit songeait à tout ce qui restait à faire. Helouri pouvait déjà entendre sa mère soupirer que les affaires à déballer et les meubles à monter n'en finissaient pas pourtant, une fois tout le labeur achevé, ce serait une belle maison qui vivrait.
Helouri se pencha hors de son lit pour fouiller dans la boîte qui contenait ses vêtements. Quand il en attrapa un, son visage arbora une moue perplexe, avant de soupirer contre les habits mélangés. Il mit un pied au sol, s'accroupit et tâcha de soulever la grande caisse en bois. Heureusement que personne n'était là pour l'observer car avec sa silhouette famélique et ses membres trop fins, on aurait pu croire que son chargement serait susceptible de le casser en deux.
Helouri quitta sa chambre pour se diriger vers la pièce adjacente. Là, il posa la caisse, mis une main sur la porte, puis interpella la silhouette qui installait déjà du désordre dans sa propre chambre :
— June, tes vêtements ont été mélangés avec les miens.
Plongée jusqu’aux coudes dans une pile de linges défaits, l’intéressée se redressa vivement. Quelques mèches cendrées retombèrent sur son visage parsemé de tâches de sons, et un sourire ravi illumina ses prunelles améthystes.
— Ah, je me disais aussi que c’était pas mes affaires ! s’exclama-t-elle.
June se releva, traça un chemin au milieu des divers objets parfois tout à fait incongrus qui parsemaient sa nouvelle chambre, puis sautilla jusqu’à son frère pour récupérer la caisse qu’il tenait à bout de bras. Sans aucune considération pour le pliage soigneux fait au départ, elle renversa la caisse sur un tas de tissus, qu’Helouri devina être posé sur son lit. June se laissa ensuite aller contre l’armoire et poussa un soupire dramatique.
— Je suis épuisée ! Tu en es où dans le rangement, Lou ? s’enquit-elle gentiment. Tu veux que je t’aide ? Ça me fera une pause ici, puis j’ai déjà bien avancé. Oh, on ira sur le marché après ! Et sur le port, aussi. Il faut absolument qu’on aille voir le palais bien sûr, et puis on prendra de quoi grignoter sur le chemin. J’aimerais bien m’acheter un nouveau ruban pour mes cheveux, celui-là est en train de tomber en morceaux.
Elle agita sa tresse en énumérant tout ce qu’ils devraient faire, et Helouri put constater qu’en effet, le ruban de cuir ne tenait plus grand chose. Il s'étira jusqu'à faire craquer son dos, puis bailla. Il ne savait pas depuis combien de temps exactement ils s'affairaient dans le rangement, mais son estomac commençait à protester.
— J'ai bien avancé de mon côté, sourit Helouri, alors je pense qu'une petite pause nous fera du bien. On pourrait aller se promener sur le marché et acheter quelque chose à manger ? On prendra aussi quelque chose pour les parents et en passant, tu trouveras peut-être un ruban.
Celui de June faisait peine à voir, c'était vrai. Il l'avait suivie durant de nombreux entraînements au sein de la Garde Obsidienne, à Eel et maintenant qu'elle se trouvait à Odrialc'h, Helouri se demandait si elle souhaitait s'engager dans l'armée ou bien faire autre chose.
— J'ai hâte de voir le grand palais aussi ! s'enthousiasma Helouri, et peut-être qu'avec un peu de chance, on verra un serviteur personnel !
— Il paraît qu’ils sont toujours beaux ! s’exclama June en le prenant par le bras pour l’entraîner dans le couloir. Peut-être que l’un d’eux tombera amoureux de moi, qui sait ?
Elle se composa une moue exagérément séductrice, tout en dévalant les escaliers avec son frère au bout des doigts.
— Papa, maman, on sort ! cria-t-elle depuis l’entrée. Allez viens, Lou, partons à la découverte de notre nouveau chez-nous ! Et peut-être qu’on verra la Capitaine, t’imagines ?
Helouri hocha la tête, ravi. Oui, peut-être qu'ils verront tout ce beau monde, ils ne pouvaient qu'espérer. Le jeune morgan avait du mal à réaliser que sa famille avait pu emménager dans la plus grande cité d'Eldarya. Son père, un ancien garde civil de la Garde Obsidienne, avait été transféré au sein de l'armée d'Odrialc'h afin de rejoindre les rangs de ceux qui garantissent la paix dans les rues. Sa mère quant à elle, allait ouvrir sa petite boutique d'accessoires comme elle l'avait toujours souhaité et Helouri, lui, essairait d'étudier la médecine à l'université de la Grande Auréole. Peut-être que les choses iraient mieux qu'à Eel.
Avec June, ils quittèrent la maison et promirent à leurs parents d'apporter le repas. En sortant, Helouri fut frappé par le monde ainsi que le brouhaha quotidien de la cité. Il n'y était pas encore habitué et parfois, il se sentait vraiment tout petit. D'instinct, il attrapa la main de June, puis proposa d'une voix malhabile de commencer par aller voir la place des Échanges, le marché d'Odrialc'h.
Sa sœur, machinalement, pressa ses doigts entre les siens. Surexcitée, June ne tenait pas en place et de loin, on aurait pu croire que c’était le frère qui réfrénait la sœur, alors qu’en réalité, ils s’agrippaient tous les deux à ce qu’ils connaissaient pour se donner le courage de partir à l’aventure et celui de ne pas se presser.
— C’est parti ! lança June. Bon, par contre, je te préviens, j’ai aucune idée du chemin à prendre.
June fit un tour sur elle-même, dansant avec Helouri, puis elle lui adressa un clin d’œil complice.
— Mais enfin, se perdre, c’est beaucoup plus drôle que de connaître le chemin. Allez, allons par-là !
Elle lui désigna une avenue moins animée mais toute aussi colorée, et ajouta qu’ils trouveraient peut-être quelque chose à grignoter au passage.
— Parce que je vais finir par mourir de faim, moi, grogna la jeune femme.
Helouri hocha la tête. Pour sa part, il était peu rassuré de se perdre car il était persuadé que les petites ruelles étaient dangereuses. Il suivit June jusqu'à une rue plus silencieuse où plusieurs auberges proposaient des plats copieux, puis laissa sa sœur choisir le repas du midi pour toute la famille. Le concernant, Helouri n'était pas difficile alors quand elle jeta son dévolu sur des pommes de terre avec des poireaux et quelques morceaux de viande, il porta les portions pour leurs parents avec précaution. La place qu'occupait Joseph au sein de la Garde, avant son déménagement, et celle qui l'attendait dans l'armée leur garantissait quelques petits privilèges, comme le droit de manger de la viande, si chère. Helouri songea qu'il pourrait faire du bénévolat pour aider les personnes les plus pauvres, car il se sentait navré pour elles.
— June, l'appela Helouri, il vaudrait mieux retourner sur l'axe principal. Papa et Maman nous ont bien dit d'éviter de nous aventurer trop près d'Abena…
Helouri n'eut pas le loisir de terminer sa phrase, car quelqu'un le percuta de plein fouet. Le jeune morgan fit tomber ses paquets avec un cri et lorsqu'il releva les yeux, ce fut pour se confronter à l'air désolé d'un elfe d'une vingtaine d'années. Helouri fut frappé par sa masse épaisse de cheveux roux, grossièrement rassemblés en une demi-queue de cheval, ainsi que les verres trop épais de ses énormes lunettes qui grossissaient son regard aigue-marine. À en aviser sa tenue ainsi que les parchemins qui dépassaient de son sac besace, il devait faire partie des messagers qui transportaient le courrier dans toute la ville.
— Oh ! Toutes mes excuses jeune homme et jeune femme de bonne famille ! lança-t-il d'un ton théâtral, J'ai beau avoir quatre yeux, vous voyez, ils ne me servent pas à grand-chose.
Il se pencha pour ramasser les paquets contenant la nourriture, puis les remit dans les bras d'un Helouri effaré, non sans s'attarder sur ses mains, ce que le jeune morgan trouvait très désagréable. Il les lui retira, puis balbutia un vague merci.
— Sur ce, messieurs-dames, je m'en vais continuer ma tournée, les salua-t-il en s'inclinant de manière ridicule.
Puis il quitta les lieux en esquissant quelques pas de danse et Helouri le regarda, hébété, disparaître dans la foule. Il secoua la tête :
— Il était vraiment étrange, songea-t-il à l'attention de June, j'espère que la nourriture n'a pas été trop abî… June, ma gourmette !
Mais c'était trop tard. La belle gourmette délicate que June lui avait offerte pour ses vingt ans, l'année dernière, avait disparue, en même temps que l'elfe.
— Eh ! s’exclama la jeune femme en se lançant à la poursuite du voleur. Rentre à la maison Lou !
Elle se jeta à son tour dans la foule, à la recherche d’un éclat roux. Elle doutait de retrouver le voleur, mais cette gourmette était importante pour Helouri, alors il était hors de question qu’elle ne réagisse pas.
— Reviens ici espèce de troubadour binoclard à la manche !
Mais l'elfe aux cheveux roux s'était volatilisé comme par magie. June eut beau chercher un éclat flamboyant parmi les passants, ceux qu'elle trouva n'appartenaient pas au voleur.
Helouri la rejoignit, le souffle court. Il porta une main machinale à sa poitrine, comme s'il voulait calmer ses poumons, puis riva un regard dépité vers la foule.
— Il a complètement disparu… constata Helouri.
Finalement, sa nouvelle vie à Odrialc'h ne commençait pas si bien. Il aurait dû se méfier mais en bon naïf, il s'était fait avoir. June lui jeta un regard machinal pour s’assurer qu’il allait bien, puis elle grimpa sur rebord décoratif afin de prendre de la hauteur. Les mains sur les hanches, la jeune femme plissa ses yeux violets en trépignant de frustration. Elle tapa du pied en jurant copieusement, puis interpella son frère.
— Tant pis, je vais quand même faire le tour de la place, s’exclama-t-elle. Il avait un sac avec du courrier, on va aussi voir à la poste, même si je pense que c’était un déguisement. Cette gourmette m’a coûté un bras, il est hors de question que cet imbécile s’en tire comme ça !
Et sans attendre, elle mit ses paroles à exécution en filant à travers la foule, s’excusant bruyamment à chaque fois qu’elle poussait quelqu’un pour se faufiler dans la masse. Elle finit par percuter un elfe d'une vingtaine d’années, dont l'horrible carré de cheveux brun encadrait un visage en forme de cœur. L'elfe plissa ses yeux aigue-marine, lui lança une œillade agacée, puis poursuivit son chemin. Les parchemins qui dépassaient de son sac besace témoignaient du courrier qu'il devait distribuer et il n'avait manifestement pas terminé sa tournée.
La jeune femme marqua un temps d’arrêt, avant d’aggripper vigoureusement la lanière du sac de sa main droite et la veste de l’elfe de sa main gauche, puis de le secouer comme un arbre dont on voulait faire tomber les fruits.
— Rends-moi tout de suite la gourmette, l’épouvantail ! s’exclama-t-elle. C’est pas parce que ta coupe de cheveux est encore plus moche que ta perruque que tu m’auras, c’est tes yeux qu’il aurait fallu déguiser, espèce de bouffeur d’écorce !
— Mais enfin ! Ça ne va pas ?! s'insurgea l'elfe.
Il recula, outré, et bientôt, June, Helouri ainsi que le messager furent le centre de l'attention. Un petit cercle de curieux se bâtit autour d'eux et Helouri sentit le sang lui monter au visage.
— Qu'est-ce que vous racontez ? reprit l'elfe, je ne vous ai jamais vu et je ne vous ai jamais rien volé ! Vous êtes folle, ma parole !
Il pointa June du doigts et pris la foule à témoin en répétant que cette femme était folle et qu'elle avait besoin d'être emmenée à l'hôpital de la Grande Auréole.
Helouri, lui, l'observa bien attentivement. Le messager qui lui avait volé sa gourmette avait de longs cheveux roux et portait d'épaisses lunettes qui lui mangeaient la moitié du visage. Mais elles grossissaient aussi ses yeux d'une couleur aigue-marine. Il en était sûr.
— Vous… Vous avez volé ma gourmette, intervint-il, c'était vous.
— Ce sont des accusations très graves, mon petit, se rengorgea l'elfe, donc maintenant, on peut se faire traiter de voleur en plein travail ? Et si j'ai du retard sur ma tournée, c'est toi qui va en payer les conséquences ?
Des murmures passèrent parmi les curieux. Certains faeliens pensaient que June et Helouri accusaient ce pauvre messager à tort quand d'autres, étaient plutôt d'accord pour dire qu'il était étrange.
— Qui est-ce que tu traites de folle, dis donc ? siffla June.
Elle tira sur sa veste pour rapprocher son visage du sien et baissa la voix, les yeux lançant des éclairs.
— Tu veux que je tire sur l’animal mort qui te sert de chapeau pour qu’on voit si c’est aussi une perruque ? grogna-t-elle. Je m’en fiche que tu voles les gens d’ici, s’ils sont suffisamment stupides pour te croire c’est leur problème, mais rends-moi cette fichue gourmette, j’ai travaillé dur pour l’offrir à mon frère et il est hors de question que je te la laisse !
— Oh, mais je t'en prie, essaie, lui souffla l'elfe, nous verrons bien qui rira…
June ne saura jamais qui rira bien le dernier, car un mouvement de foule attira l'attention des passants qui délaissèrent leur règlement de compte pour s'intéresser à un autre phénomène. L'elfe eut juste besoin d'un bref regard pour comprendre ce qui se passait. Il déglutit, pâlit, puis fouilla furtivement dans son sac pour en tirer la gourmette qu'il remit dans la main de June.
— Voilà. Merci, au revoir et à jamais, j'espère ! grinça-t-il entre ses dents.
Il en profita pour s'éclipser avec habilité et quand June se demanda quel spadel l'avait piqué, Helouri l'appela dans un souffle en lui tapotant le bras.
Au loin, une haute silhouette se dressait. Le soleil renvoyait des reflets moirés sur son armure étincelante et, attirée par l'esclandre, elle avait dévié de son chemin pour venir vérifier si tout allait bien. Elle ressemblait à une apparition. Une véritable légende connue dans tout Eldarya pour les batailles qu'elle avait remportées et les guerres qu'elle était parvenue à éviter avec son sens de la diplomatie. Son visage, de véritables traits d'orc volontaires taillés dans du cuivre, arborait sa force d'esprit ainsi que son véritable sens de l'honneur. Quand elle marchait sur les pavés de la rue, elle faisait claquer ses solerets et sa longue natte de cheveux auburn se balançait comme son propre étendard.
June écarquilla les yeux, impressionnée, ravie, excitée et surprise à la fois. Malgré elle, elle attrapa le bras d’Helouri et glissa la gourmette dans sa paume, avant de chuchoter à son oreille.
— Tiens, fais-y attention. Elle est encore plus impressionnante de près ! La Capitaine, hein, pas ta gourmette, ta gourmette est jolie, mais pas comme la Capitaine.
— ... Oui.
Figé comme une statue de marbre, Helouri ouvrait de grands yeux admiratifs face à la haute silhouette de la Capitaine. Il remit machinalement sa gourmette à son poignet sans cesser de la fixer, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. Il avait l'impression que sa présence l'écrasait jusqu'à broyer ses poumons fragiles. Quand elle passa dans la rue, les gens s'écartaient sur son passage et Helouri les imita. C'était comme s'ils se trouvaient tous dans une peinture. Il y avait le soleil et puis les ombres, au sol, qui rêvaient d'être comme lui.
Non. Helouri ne rêvait pas d'être comme lui. Il se suffisait à se trouver dans son périmètre juste pour profiter de sa chaleur réconfortante et de ses rayons protecteurs.
Quand le soleil passa son chemin, il avait déjà froid. June lui dit quelque chose, mais il n'entendit pas.
Hélios Soarre au Grand Palais d'Odrialc'h (RP)
— Celui-ci. Et celui-là également.
Hélios Soarre vérifia d’un coup d'œil machinal que le secrétaire qui l’accompagnait ne se trompait pas de guéridon. Il s’agissait d’organiser une vente aux enchères du mobilier dont sa maîtresse ne voulait plus, elle préférait donc éviter de vendre l’un de ses meubles préférés parce qu’un scribe s’était emmêlé les pinceaux. L’atalante fit quelques pas gracieux en direction d’un assortiment de fauteuils, et se pencha pour les examiner, ses boucles rousses prenant des reflets flamboyants à la lumière des hautes fenêtres du Grand Palais.
— Emportez également cet ensemble, indiqua-t-elle. Et veillez à ce que rien ne soit abîmé lors du transport, je vous prie.
Hélios sourit au secrétaire. À force de travailler au Grand Palais, elle avait trouvé le bon équilibre entre autorité et gentillesse. Son sourire solaire lui obtenait souvent bien plus de sympathie et d’efficacité qu’un froncement de sourcil hautain, alors elle n’hésitait jamais à en abuser. Et puis, Hélios n’était pas connue pour son humeur morose, bien au contraire.
La vente aux enchères organisée par la famille Alfirin visait à réunir des fonds pour l’hôpital. Hélios soutenait cette initiative avec joie, même si au fond, elle savait pertinemment que sa maîtresse ne faisait ça que pour obéir aux règles de bien paraître de la société. Cela dit, Hélios ne le formulerait jamais à voix haute : elle appartenait aux Alfirin, elle défendrait leurs intérêts jusqu’à ce qu’on la congédie et sans doute même ensuite. Et puis, de toute façon, sa loyauté n’allait pas à Cyrandil Alfirin, mais à son fils, Sheraz, dont elle était la servante personnelle. Alors, comme à chaque fois qu’on lui confiait une tâche, Hélios l’exécutait avec bonne humeur afin de rendre honneur à sa position et à celle de la famille qu’elle servait.
Le secrétaire nota scrupuleusement toutes les informations. Lorsque ce fut chose faite, il s'apprêtait à discuter du transport avec Hélios, quand il fut interrompu par l'arrivée d'une servante de bas rang. On les reconnaissait à leurs vêtements de travail blanc avec des liserés bleus, ainsi qu'à leurs coiffures tirés à quatre épingles. Contrairement aux serviteurs personnels comme Hélios, les serviteurs de bas-rangs n'étaient pas faits pour briller. Discrets, ils exécutaient leurs tâches avec application et ne s'adressaient jamais aux membres de la noblesse : ils passaient le message à leurs serviteurs personnels.
— Mademoiselle Soarre, Monsieur, les salua la servante, je vous prie d'excuser mon intrusion. Mademoiselle Soarre, Monsieur Le Preux vous réclame.
Monsieur Camille Le Preux était le médecin qui s'occupait de Sheraz Alfirin. Quand il envoyait une servante de bas rang faire chercher Hélios, c'était toujours au sujet du traitement de Sheraz. Si extérieurement, Hélios se composa un sourire poli, à l’intérieur, l’inquiétude établit son nid. Mais au Grand Palais, les apparences comptaient plus que tout, et il était hors de question que le secrétaire ou la servante de bas rang puissent déceler une once de trouble dans ses yeux.
— Auriez-vous l’amabilité de me faire parvenir une copie de la liste ? demanda-t-elle au secrétaire. Je reviendrai vers vous pour organiser le transport des meubles.
Elle le remercia de son aide puis indiqua à la servante de bas rang d’ouvrir la voie, d’une nouvelle moue polie. Elle s'exécuta avec des gestes mesurés et conduisit Hélios jusqu'au cabinet du docteur Camille Le Preux.
Les Le Preux étaient une famille de lampades ainsi que des membres de la bourgeoisie qui avaient su se faire une place au Grand Palais, notamment grâce à leurs enfants : Camille et Odette, deux grands esprits de la médecine qui pratiquaient la chirurgie. Camille avait choisi de se spécialiser dans les greffes et extractions de corps étrangers et sa sœur jumelle, Odette, dans la pédiatrie et la chirurgie infantile. À la demande des Alfirin, Camille avait accepté de s'occuper de Sheraz ainsi que de son traitement.
Arrivées devant la porte du cabinet du docteur Le Preux, la servante indiqua à Hélios qu'elle pouvait entrer. En effet, il était inutile de toquer, puisque Camille était sourd. L’atalante la remercia et pénétra dans le cabinet de sa démarche dansante. Elle appréciait les Le Preux, le frère comme la sœur, et plus que tout, elle adorait regarder Camille parler, car les gestes qu’il faisait alors avec ses mains ressemblaient à une chorégraphie hypnotisante. À force de pratique, Hélios avait appris certains mots, et même si elle n’était pas capable de tenir une conversation avec le docteur, elle pouvait lui adresser quelques demandes très simples sous forme de simples mots.
Le docteur Le Preux était en train de prendre des notes sur un parchemin, concentré. Ses yeux, entièrement noirs, laissaient quelques lueures les animer, telles des constellations stellaires et une douceur presque tangible émanait de sa personne. Hélios connaissait bien cette impression, typique des lampades comme Stella, la servante personnelle des sœurs Orécaille. Ils étaient sensibles au cœur des gens et c'était aussi la raison pour laquelle, outre leur intelligence, les Le Preux faisaient de bons médecins.
Camille avait la peau d'ivoire et il relevait ses boucles blanches en queue de cheval quand il donnait des consultations. Concentré sur ce qu'il écrivait, sa plume grattait le parchemin. Au bout de quelques instants, il releva la tête et salua Hélios en posant le bout de ses doigts sur son menton, puis en envoyant sa main vers l'avant. La note qu'il rédigeait était à son attention, alors il la lui tendit :
Mademoiselle Soarre,
J'ai reçu votre jeune maître aujourd'hui, Monsieur Sheraz Alfirin. Il se plaint toujours de maux de ventre très douloureux. Je lui ai prescrit de la passiflore, du curcuma et de la mélisse à boire en tisane durant la journée. Si la douleur est trop intense, je lui ai préparé des remèdes à base de graines de pavots mais s'il vous plaît, ne l'utilisez qu'en dernier recours car une dépendance au traitement est possible.
Aussi, le jeune maître Alfirin m'a évoqué de terrifiants cauchemars. Vous en a-t-il parlé ?
Hélios parcourut rapidement la note de ses yeux verts, puis pinça ses lèvres pleines. Avec Camille, elle pouvait être franche, aussi marqua-t-elle son inquiétude d’un froncement de sourcil. Elle attrapa à son tour une plume, retourna le parchemin et l’utilisa pour répondre, en un ballet désormais familier.
Merci pour ces remèdes, je m’assurerais que le jeune maître les prenne consciencieusement.
Il ne m’a pas mentionné de cauchemars, j’en suis navrée. J’ai cependant remarqué qu’il était très cerné et qu’il semblait fatigué, je craignais que son sommeil ne soit agité. Vous a-t-il donné plus de détails concernant ces mauvais rêves ? N’hésitez pas à me dire si je vais trop loin dans ma question et si cela relève du secret médical.
Camille reprit le parchemin. Après lecture, il sembla réfléchir. Il était évident qu'il ne pouvait pas trahir les confidences du jeune maître Sheraz néanmoins, il était bon que sa servante personnelle soit au courant. Camille reprit sa plume, puis rédigea sa réponse :
Je suis navré, je ne peux pas trahir les confidences de votre jeune maître, mais je dois vous avouer que ce qu'il m'a décrit m'inquiète. Aussi, je vais rester vague mais je vous conseille tout de même d'inviter votre jeune maître à se confier à vous à propos de ses cauchemars.
Il m'a partagé des scènes de douleur qui lui semblaient réelles dans lesquelles il sentait son corps se transformer, il m'a parlé de décors infernaux, de corps empalés sur des pieux. Je dois vous avouer que cela m'inquiète, car je connais votre jeune maître comme une personne paisible qui n'a pas ce genre d'imagination. Peut-être que je fais erreur, mais je ne pense pas qu'il soit adepte de ce genre de lecture ou bien de ce genre d'art.
Votre jeune maître m'a demandé une potion de sommeil sans rêve. J'accepte de lui en prescrire, mais je compte sur vous pour le dosage et pour ne pas laisser la bouteille à sa portée.
Hélios écarquilla les yeux en parcourant la note. Non, Sheraz n’était pas adepte de lectures cauchemardesques, bien au contraire ! Elle s’empressa d’en informer Camille, puis hocha machinalement la tête en indiquant dans sa note qu’elle prendrait grand soin de doser correctement la potion.
Je me permettrais également de lui proposer de la musique avant de se coucher, et j’essaierais de discuter avec lui de ces cauchemars afin que l’usage de cette potion soit très ponctuel promit-elle dans la note. Souhaitiez-vous discuter d’autre chose ?
Camille sembla hésiter, puis il reprit sa plume pour écrire :
Si vous le permettez, j'aimerai vous dire un mot en tant que lampade. Comme vous le savez, mon espèce est sensible au cœur des gens. Je ressens une grande tristesse chez votre jeune maître et même si je sais qu'il adore votre compagnie et que vous comptez beaucoup pour lui, il serait bon qu'il tisse d'autres liens avec des jeunes personnes de son âge. Je ne peux pas lui prescrire de sorties hors du grand palais car ce n'est pas à moi d'établir ce genre d'autorisation. Pourriez-vous discuter avec votre jeune maître de sorties dans les jardins, de discussions avec de jeunes gens du grand palais et d'activités en groupe ? Je sais que sa maladie est difficile à supporter mais s'il s'enferme dans la solitude, je crains qu'elle devienne encore plus pénible.
Hélios tritura une boucle rousse. La solitude de Sheraz était également un sujet d’inquiétude pour elle, mais il fallait dire qu’au Grand Palais, tisser des liens était plus que compliqué, surtout pour les jeunes nobles… Elle soupira intérieurement, et se promit de fouiner un peu pour arranger des goûters supportables pour Sheraz, durant lesquels il ne subirait ni moquerie, ni brimade et pourrait discuter avec les jeunes de son âge.
Le bien-être de mon maître compte plus que tout à mes yeux, docteur Le Preux, et je vous remercie de vos conseils. Je les suivrais scrupuleusement, d’autant que je suis d’accord avec vous sur l’effet bénéfique de rencontrer d’autres personnes. J’en discuterais avec lui, et je m’assurerais que ces activités ne le mettent pas en difficulté ! Je vous remercie également de sa part, et de la mienne, de vous souciez de son bien-être.
Camille lui répondit un sourire, signe qu'il n'avait plus rien à ajouter. Il savait que Sheraz plaçait toute sa confiance en sa servante personnelle et que cette dernière faisait tout son possible pour son bien-être.
Hélios le salua et quitta son cabinet pour se diriger vers la chambre de Sheraz. Son jeune maître se reposait avant d'aller prendre le goûter en compagnie des autres jeunes gens de la noblesse du grand palais. Un moment qui était toujours difficile pour lui, car nombreux étaient ceux qui faisaient semblant de s'enquérir de son état de santé pour se calomnier derrière son dos.
Lorsqu'elle arriva devant la porte de sa chambre, Hélios toqua trois fois avant de s'annoncer, puis elle entra. Son regard se posa sur le grand lit dans lequel Sheraz se perdait toutes les nuits et pendant ses heures de sieste. À chaque fois, Hélios avait l'impression que ses draps voulaient l'avaler et elle les retrouvait souvent trempés par la sueur de ses cauchemars et de ses fortes fièvres. Des tapisseries représentant des elfes venaient habiller les murs pendant qu'un grand miroir en occupait tout un pan puis près de la fenêtre qui donnait sur les jardins, un fauteuil que Sheraz aimait occuper. Il s'y trouvait d'ailleurs assis et Hélios comprit pourquoi il ne lui avait pas répondu.
Sheraz Alfirin s'était endormi en pleine lecture. Son livre pendait à bout de bras pendant que sa tête s'était calée sur le dossier de son fauteuil. Lorsqu'il était éveillé, il semblait fragile mais une fois endormi, on avait l'impression que le moindre souffle de vent pouvait l'abîmer. Il avait la peau trop pâle. Hélios tentait de raviver son teint tous les matins grâce à des artifices cosmétiques. Elle tressait ses longs cheveux châtains et tant pis si elle était obligée de rectifier sa coiffure parce qu'il s'endormait pendant une sieste comme en cet instant.
Sheraz avait vingt-et-ans et sa maladie lui volait sa jeunesse. Elle lui tordait les boyaux, le rendait brûlant de fièvre, l'empêchait de manger ce qu'il voulait et le rendait essoufflé comme un vampire après un effort trop intense. Parce qu'il était fragile, il ne pouvait pas quitter le Grand Palais sur ordre de ses parents. Le Grand Palais était d'ailleurs tout ce qu'il connaissait alors quand il était triste, Hélios tentait de le faire voyager en jouant de la musique ou bien avec les livres qu'elle lui trouvait, à l'extérieur.
L’atalante referma doucement la porte pour s’assurer de ne pas être dérangée. Avec la grâce d’un courant d’air, elle entreprit de mettre un peu d’ordre dans la pièce, pour laisser à son maître quelques minutes supplémentaires d’un sommeil qui semblait plus paisible que sa nuit. Une fois le rangement effectué, Hélios se saisit précautionneusement du livre pour ne pas qu’il s’abîme, et elle prépara une infusion, qu’elle déposa sur la table basse devant Sheraz. Enfin, elle s’accroupit devant le jeune homme, un sourire à la fois inquiet et attendri sur les lèvres. Hélios enveloppa la main de l’elfe entre les siennes, avant de murmurer son prénom d’une voix très douce.
Sheraz émergea des limbes du sommeil. Il prit un instant pour faire corps avec la réalité, puis se redressa sur son fauteuil en clignant des paupières à plusieurs reprises. Son état de santé se rappela bien vite à lui en lui laissant un goût amer dans sa bouche pâteuse.
— Bonjour, Hélios… souffla-t-il, confus.
Sheraz réalisa que la matinée était derrière lui et que l'après-midi suivait son cours. Puis il se souvint qu'il était en train de lire un recueil de contes quand la fatigue avait choisi de l'entraîner vers une petite sieste. Au moins, elle avait été un tant soit peu réparatrice.
— Céleste était avec moi, remarqua Sheraz, où…
Un miaulement lui répondit et une femelle ciralak émergea de sous le fauteuil où elle s'était endormie après son maître. Céleste s'étira les pattes une par une, secoua ses trois têtes, se frotta contre les jambes d'Hélios avant de bondir sur les genoux de Sheraz pour s'y pelotonner. Le jeune elfe Alfirin sourit doucement en la grattant entre les oreilles, puis, soupira en levant les yeux vers Hélios :
— Excusez-moi, Hélios. Je suis en train d'émerger. J'ai l'impression qu'il y a un voile qui me tient éloigné de la réalité.
— Prenez votre temps, sourit l’atalante. Je vous ai préparé une infusion, cela vous aidera peut-être à revenir vers moi. Comment vous sentez-vous ?
Hélios haussa les sourcils pour appuyer son propos, puis pressa doucement les doigts de son maître.
— Comment vous sentez-vous, vraiment ? répéta-t-elle.
Sheraz avait attrapé sa tasse pour souffler sur l'infusion, puis la porter à ses lèvres. Il interrompit son geste, plongea dans le regard d'Hélios, puis détourna les yeux en affirmant que tout allait bien.
— Je suis encore fatigué et pour être honnête, je n'ai pas très envie d'assister au goûter, tout à l'heure. Mais les choses sont identiques aujourd'hui comme hier, répondit Sheraz avec un pauvre sourire.
— Vous saviez que le nez des elfes devenaient rouge quand ils mentaient ? répliqua Hélios avec une grimace.
Elle se releva pour tirer un siège et s’installer près de Sheraz, avant de secouer ses boucles d’un air réprobateur.
— Allons, Sheraz, si vous ne vous confiez pas, je ne peux pas vous aider, murmura-t-elle. Vous savez que je peux garder vos secrets pour moi, que je n’irais pas répéter à votre mère ce qui ne la concerne pas, et surtout, que je ne jugerais jamais vos paroles. Je suis à votre service, par choix et par envie, pas par obligation. La nature m’a doté de bons yeux, qui en plus d’être forts charmants, me permettent de voir quand mon jeune maître me raconte des bêtises.
Elle ponctua sa plaisanterie d’un battement de cil exagéré, dans l’espoir de tirer un sourire au jeune homme. Ce dernier pouffa dans un souffle, puis grimaça quand il songea à ses cauchemars. Il ne voulait pas les raconter à Hélios parce qu'ils étaient horribles et qu'elle ne pouvait rien y faire. Lui-même ne comprenait pas d'où ils venaient, même s'il pensait qu'ils étaient le résultat de ses fortes fièvres.
— Je… Je dors mal, amorça Sheraz, mais je vous assure, Hélios, que je ne suis pas fou et que je n'ai pas de mauvaises idées.
Il ne choisissait pas ce qu'il voyait. Il essaya de trouver les bons mots pour raconter ces images infernales à Hélios. Il était allongé sur une pierre froide et il sentait tous ses os se tordre comme s'il se transformait. C'était horriblement douloureux et si réel qu'il vérifiait son corps quand il se réveillait en sursaut, pour s'assurer que tous ses os étaient bien à leur place.
Il voyait des lames sortir du sol et des corps empalés envahissaient sa vision jusqu'à le faire hurler, puis il remarquait que sa propre gorge était traversée par une pointe métallique.
— Je ne sais pas pourquoi je fais ce genre de cauchemar, confia Sheraz d'une petite voix, ils me terrifient. J'ai demandé au docteur Le Preux de me prescrire une potion de sommeil sans rêves, Hélios…
Il leva ses yeux humides vers le visage de sa servante personnelle :
— Vous croyez que ma maladie commence à gangréner mon esprit ?
La jeune femme posa ses mains fraîches de part et d’autre du visage de son maître, puis verrouilla ses yeux aux siens.
— Vous n’êtes pas fou, Sheraz, assura-t-elle. Les rêves sont des messages de nos esprits, et parfois ils révèlent des choses dont nous ne voulons pas avoir connaissance. Vos rêves ont une signification, mais ils ne veulent pas dire que vous sombrez dans la folie.
Néanmoins, elle comprenait mieux la fatigue de son maître… Hélios s’écarta de Sheraz pour frotter son menton, d’un air songeur.
— Le docteur Le Preux m’a dit pour la potion. Vous la prendrez cette nuit, car vous avez besoin de sommeil, et je resterai à vos côtés aussi longtemps qu’il le faudra pour que vous dormiez correctement, réfléchit-elle. Ces cauchemars sont tout de même problématiques, car ils vous épuisent. Que diriez-vous de faire quelques recherches sur la signification des rêves ? Je pourrais vous apporter quelques livres de la bibliothèque, et nous les étudierons ensemble.
Sheraz ne répondit pas. Quand il y pensait, il craignait surtout de découvrir ce que son esprit voulait lui communiquer à travers ces affreux cauchemars. Il n'avait pas envie de savoir, il voulait simplement dormir et arrêter de rêver.
— Vous avez sans doute raison, Hélios, déclara-t-il d'une petite voix, mais vous savez, je préfère rester dans l'ignorance, car si je devais penser à tout ce qui me fait du mal, je crains qu'un beau matin, je sois incapable de quitter mon lit.
— Ça n’arrivera pas, Sheraz, pas sous ma surveillance, assura l’atalante.
S’il ne souhaitait pas savoir, elle respecterait sa volonté. Mais de son côté, Hélios irait tout de même fouiner, car il était dans la nature des atalantes d’être curieuses, et elle ne faisait aucunement défaut à cette règle.
Au cœur de la cité de Rhenia-Gaear, la capitale des Terres Gelées du Grand Nord, tout le monde dormait à poings fermés. Des feux bienvenus ronflaient dans les cheminées, dans les salles de garde, et sur des torches accrochées à des murs de pierre. Les habitants se protégeaient du froid, pourtant, ils savaient qu'un autre, plus cruel, n'était retenu que par le pouvoir d'une porte si haute qu'elle ressemblait à un palais.
Une porte que de puissantes créatures ailées pouvaient ouvrir à la force de leurs bras.
Les habitants de Rhenia-Gaear vivaient non loin du royaume des fées mais en réalité, ils savaient qu'ils étaient simplement tolérés. Le jour où elles laisseraient les battants de leur gigantesque porte ouverts, alors le froid meurtrier de leur contrée viendrait faire des ravages au sein de la capitale et il ne resterait aucun survivant. L'hiver était Maître dans les Terres Gelées du Grand Nord. Il était Maître mais il était dominé par l'une des espèces originelles d'Eldarya, capable de survivre à ses caprices ainsi qu'à ses températures extrêmes. Nombreux étaient ceux qui se demandaient comment les fées vivaient quand d'autres préféraient ne pas le savoir. Elles asseyaient leur joug sur Rhenia-Gaear rien qu'en tenant la vie de ses habitants entre leurs mains et lorsqu'une vague de froid terrible balayait la ville toute entière, alors on savait que les fées sortaient. Elles étaient reçues comme des reines par Maximilien Ville de Fer, le monarque de Rhenia-Gaear, qui leur vouait un culte et rien que par leur présence, elles rappelaient à la population que si elle vivait encore, c'était parce que le peuple des fées le voulait.
Elles étaient l'une des espèces originelle les plus puissantes d'Eldarya. Elles régnaient sur le monde avec d'autres avant le Grand Exil et elles tenaient à le rappeler.
***
Théanore patientait dans le petit salon de lecture. Il adorait cet endroit. Depuis la grande fenêtre de la pièce, il pouvait voir le décor figé du royaume des fées sous l'hiver éternel. Comment les arbres, gelés jusqu'à la moelle, ressemblaient à des sculptures de glace et comment les plantes grimpantes de camérisiers du givre, couraient sur les habitations. Une paix royale régnait sur la contrée et Théanore priait pour qu'elle persiste.
En ce matin pâle, il s'était rendu au palais des Milliget afin de porter une information importante à la reine, Delta Milliget. Quelques jours plus tôt, des éleveurs de familiers travaillant pour le compte des purrekos étaient venus observer les mères skanis en train de mettre leurs petits au monde. Il n'était pas rare que les plus faibles soient abandonnés, voire dévorés. Seulement, les éleveurs les emportaient pour les vendre sur d'autres continents. Théanore comprenait bien la langue commune d'Eldarya. Il s'était rendu à Rhenia-Gaear pour obtenir plus d'informations sur le séjour des éleveurs à la capitale, car la situation l'inquiétait. Beaucoup de familiers étaient en voie d'extinction depuis le Grand Exil. Les danalasm, xylvras, ocemas, perceeds et sowiges bénéficiaient déjà de la protection des fées et vivaient dans leur royaume. Il serait peut-être temps d'accueillir les skanis et Théanore ne doutait pas que la reine Delta donnerait son aval. Il fallait préserver ce qui pouvait être préservé, car les faeliens détruisaient tout. De plus, Théanore faisait partie de la famille Musca. Il était un vassal des Milliget, la lignée royale, alors il était de son devoir de servir leurs intérêts, ceux de sa reine en particulier.
Des éclats de voix résonnèrent dans le palais et Théanore ferma les yeux en espérant que le bruit ne descendrait pas jusqu'au salon de lecture. Là, dans cette pièce silencieuse, il ressemblait à une statue de glace. Sa peau avait d'ailleurs la couleur de la glace, peut-être d'un bleu plus gris, comme une image du passé. Elle jurait avec la robe rouge des Musca, puis elle revenait faire son nid dans ses yeux, ainsi que sur ses longs cheveux pour se transformer en aurore boréale. Théanore était le plus sage et pragmatique des Musca. D'autres disaient qu'il était le plus faible.
— Tiens, te voilà encore à traîner ici, Musca orcha, attaqua une voix traînante, Il y en a qui ont décidément la vie facile.
Le bruit n'était manifestement pas resté en haut des escaliers et la robe rouge de la fée Musca ne lui avait pas échappé. Le bruit s'était aussi disputé avec l'un de ses frères parce qu'il réfutait ses décisions concernant le royaume des fées, mais également le sort réservé aux faeliens. Alors maintenant que ses nerfs brûlaient, il fallait trouver une cible à calciner et Théanore avait toujours la malchance d'être au mauvais endroit, au mauvais moment.
Fidèle à son rôle, il n'en laissa rien paraître. Il s'inclina avec respect, puis répondit :
— Mes respects, kemesh Candice Milliget. J'ai un message à porter à notre reine qui est en audience avec votre frère, alors je patiente ici.
— Je sors de cette audience à l'instant, alors je sais très bien ce que fait ma mère, cracha Candice, tu en as d'autres des évidences comme ça ?
Théanore ne répondit pas. Il était malvenu de contrarier Candice, et pourtant impossible d'éviter ses foudres. Candice était la fée la plus puissante de la famille Milliget et peut-être le prochain roi en devenir.
Théanore garda les yeux baissés sur ses mains. Il imaginait sans mal le regard métallique de Candice le transpercer comme des poignards et chaque nerf de son corps flamber d'agressivité. Même le bleu saphir de sa robe ne parvenait pas à apaiser les brûlures.
— Viens avec moi, décréta Candice, je vais te donner un vrai travail.
Théanore releva la tête pour croiser son regard. Il avait une information à porter à la reine Delta et ça l'ennuyait de manquer à son devoir. Mais il savait aussi que Candice ne souffrirait d'aucun refus.
La fée Milliget lissait une mèche de ses longs cheveux châtain en attendant de voir si Théanore oserait lui tenir tête, mais le vassal finit par acquiescer :
— Shaw.
La fée Musca suivit Candice à travers le palais. L'endroit était comme le reste du royaume des fées : glacial, monochrome, figé par l'hiver et le temps. Le bleu et le blanc se côtoyaient en une danse éternelle, tout comme la délicatesse de l'architecture qui offrait un spectacle agréable à des yeux qui n'en avaient cure. Les fées aimaient le savoir, pas les apparences.
Candice conduisit Théanore dans le laboratoire où il effectuait ses recherches. Comme tous les Milliget, il était un maître de la médecine. Son ancêtre, Jack Milliget, avait découvert cette science bien avant le Grand Exil et Candice entretenait cet héritage avec des recherches. Il avait appris la chirurgie et il était déterminé à trouver un traitement à chaque maladie, même celles qui touchaient l'esprit. Pas par altruisme, non, juste parce qu'il détestait ne pas détenir la réponse à une problématique. Les médecins faeliens envoyaient régulièrement leurs travaux à la famille Milliget afin de faire valider leurs recherches et Candice ne leur laissait aucune chance.
Théanore balaya le décor de son regard glacé. Des organes disséqués flottaient dans un liquide qui les protégeaient du froid. Une large bibliothèque croulait sous des livres, la plupart étant les résultats de recherches menées par Candice et sur une longue table, trônait du matériel alchimique. À travers la verrerie et des tubes, un filtre se synthétisait pour achever sa course dans un récipient. Candice ordonna à Théanore de rester près de la table pendant qu'il allait chercher quelque chose. Il revint avec une éprouvette qui contenait un liquide de couleur orange :
— Tu vas voir, c'est très simple. Même quelqu'un comme toi peut comprendre : tu vas attendre que ces substances finissent leur combinaison et quand ce sera fait, il te suffira de rajouter ce liquide.
Candice rangea son éprouvette sur un support en bois, bien en évidence.
— Contrairement à toi, je suis très occupé, alors je n'ai pas le temps d'attendre. Tu vas donc faire ce petit travail et quand tu auras fini, ma mère aura sûrement du temps à t'accorder pour écouter ton message. Tu as compris ?
Oui, Théanore avait compris. Seulement, il ne savait pas combien de temps la tâche de Candice lui prendrait, ce qui était ennuyeux. Il jeta un regard au matériel alchimique, un autre à l'éprouvette, puis il songea à la situation des skanis. La reine attendait son information.
Musca orcha : le dernier des Musca (pour "le dernier né")
Kemesh : prince
Shaw : oui
Les Choix
La Garde de l'Ombre enquête sur l'existence de réseaux de trafiquants de tap sur le continent du Beryx. Fawkes a été envoyé pour récolter des informations et il revenu avec la preuve que des goules sont présentes sur le continent. Plusieurs problématiques se profilent et il faut agir vite. Que doit décider Nevra ?
➜ Faire une descente dans la forêt, de l'autre côté de la barrière de rozmarin, là où Fawkes a trouvé le cadavre d'un black dog empoisonné avec du venin de goule.
➜ Régler la problématique des black dogs qui se retrouvent hors de leur territoire et qui peuvent attaquer le village d'Albacore.
➜ S'occuper du problème des sous-effectifs à la douane d'Amzer. Les douaniers peuvent laisser passer du tap sans s'en rendre compte.
UNIQUEMENT pour Waitikka : Fawkes est traqueur d'informations à la Garde de l'Ombre. Chrome Talbot, un apprenti traqueur, insiste beaucoup pour l'accompagner en mission afin de profiter de son expérience. Cependant, Nevra ne le trouve pas prêt.
Est-ce que Fawkes veut plaider la cause de son collègue et accepter d'emmener Chrome en mission avec lui ?
UNIQUEMENT pour Florianne : Théanore a des informations à porter à la reine Delta Milliget. Des éleveurs travaillant pour le compte des purrekos viennent chercher les skanis trop faibles abandonnés par leur mère. Malheureusement pour Théanore, il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment : Candice lui est tombé dessus et lui a confié un autre travail. Que devrait faire Théanore ?
➜ Réaliser le travail de Candice. Il est malvenu de le contrarier.
➜ Refuser le travail de Candice. Il est plus important de porter le message à Delta Milliget.
➜ Demander à Candice combien de temps lui prendra sa tâche.
➜ Accepter le travail de Candice, attendre qu'il parte, puis verser le contenu de l'éprouvette dans le récipient sans attendre que les substances finissent leur combinaison.
UNIQUEMENT pour MayaShiz : Après leur mésaventure dans les rues d'Odrialc'h, June et Helouri ont peu manger en compagnie de leurs parents. Leur emménagement n'est pas terminé et il y a encore beaucoup d'affaires à ranger. Cependant, June se demande ce qu'elle fera, à Odrialc'h. Veut-elle y réfléchir seule ou bien avec un ou plusieurs membres de sa famille qui pourront la conseiller, l'orienter, voire l'accompagner dans ses démarches ?

Note de l'Auteure
Bonjour à vous ! (^_^)/
Je suis vraiment ravie de vous retrouver après ces quatre mois d'absence qui ont filé à une vitesse folle. Les aléas de la vie sont pénibles, mais construire son chemin demande parfois toute son attention. Quoi qu'il arrive, souvenez-vous que peu importe ce qu'il se passe, vous vous en sortirez toujours et que tout vient à point à qui sait attendre.
Pour mon retour, voilà un chapitre fort conséquent avec cette fois non pas un, mais deux choix principaux ! Bien entendu, prenez votre temps et si vous avez besoin de rallonger la durée des votes, contactez-moi par MP.
Bonne lecture !
Chapitre 2 - Le Jardin des Ombres
Il pleurait à chaudes larmes. Il se souvenait des sillons brûlants laissés sur ses joues pâles, comme des traînés de feu, de son corps tendu comme un pantin de bois et de son cœur meurtri. Nevra avait déjà eu mal. Quand il faisait une bêtise, son père criait et quand ça ne suffisait pas, il sortait le bâton. Nevra le connaissait, ce bâton. Il avait appris à composer avec, puis à s'en moquer une fois que l'instant pénible de la punition se trouvait derrière lui.
Mais la douleur dans son cœur à vif, ce soir-là, vingt-et-un ans plus tôt, Nevra s'en souvenait toujours. Il avait l'impression qu'un poison brûlant donnait la cadence dans sa poitrine d'enfant de douze ans. Que rien ne pourrait l'arrêter et qu'il serait destiné à revivre, encore et encore, l'horreur de cette soirée.
Pour son père, c'était une punition. Pour sa mère, c'était une bonne décision. Pour les serviteurs du manoir Mircalla, c'était dommage mais pour Nevra, c'était une peine marquée au fer rouge dans sa chair.
Il pleurait à chaudes larmes jusqu'à cracher son chagrin et tant pis si la fraîcheur de la nuit commençait à l'étreindre. Nevra préférait avoir froid plutôt que de rester entre les murs de ce manoir qu'il détestait, comme une prison, alors il avait quitté sa chambre pour rejoindre l'aile des domestiques. Ses parents dormaient. Le manoir ne grinçait plus et Ficaire, le fidèle majordome des Mircalla, prenait toujours soin de faire chauffer du jus de pomme avec de la cannelle. Nevra adorait ça. Cette nuit-là, il s'en était servi un petit bol, puis s'était assis à la table des domestiques, celle à la nappe d'un gris du passé. Mais le jus de pomme avait le goût du sang. Celui que Nevra n'aurait jamais goûté, même affamé. Il avait vite abandonné sa boisson pour sortir dans les jardins, accuser l'air froid et s'effondrer sous l'œil de la nuit. Personne ne pourrait lui reprocher de pleurer, personne ne pourrait le rabrouer, lui crier que ce n'était qu'un foutu pimpel et que tout était de sa faute. Nevra avait fait une bêtise et puisqu'il narguait le bâton, alors son père avait décrété que Plume en tâterait à sa place.
Ça lui apprendra, à ce fils indigne, à défier son père. Cet imbécile qui avait receuillit un pimpel pour lui donner un nom ridicule, qui le cajolait comme une femme câline un maülix, qui lui parlait tous les jours comme si la bête, stupide, pouvait le comprendre et qui perdait son temps à lui fabriquer des jeux. Plume avait apporté de la douceur dans le quotidien de Nevra, mais Plume s'était écrasé au sol dans la violence pour peindre à tout jamais dans le regard de son ami, un rouge qui le hantera.
Nevra ne savait pas comment il pourrait traverser ses prochaines journées sans Plume. Il pouvait rester des heures, assis sur son lit, à le regarder sautiller, renifler chaque objet de sa chambre, taper de la patte quand il était impatient ou simplement froncer du nez.
Recroquevillé près des ancolies, Nevra grelottait. Le vent s'engouffrait sous le tissu de son vêtement de nuit, mais ça lui était égal. Il avait mal et peu importait combien il pleurait son chagrin, la douleur lui tordait le corps. Il n'avait plus peur du noir, plus peur des ombres qui pouvaient vivre sous le ciel nocturne, plus peur de celle qui se détachait de la haie pour prendre forme faelienne.
Nevra avait cligné des yeux plusieurs fois. D'un revers de la main, il avait chassé les larmes, pour mieux voir, mais il ne rêvait pas. Le vent faisait bruisser les feuilles des lauriers, méticuleusement taillées par le jardinier pourtant, quelque chose avait pris vie, quelque chose s'était extirpé des ombres pour marcher sur la pelouse. Interdit et terrifié, Nevra s'était tassé près du massif de fleurs. Il fixait la silhouette qui se dépliait, qui levait la tête vers le ciel comme pour apprécier le froid, puis qui étirait ses bras et ses jambes. Elle était fine, de taille moyenne et elle se tenait-là comme si le domaine des Mircalla lui appartenait. Nevra sentait son cœur cogner contre sa poitrine pendant qu'une peur irrationnelle grandissait dans son être. Il respirait telle une proie prise dans les yeux d'un chasseur. Il avait l'impression que l'air frais des jardins tapissait ses poumons comme de la cendre et avant que son esprit n'ait le temps de mettre de l'ordre dans ses pensés, son corps avait agit : il s'était précipité vers la porte arrière du manoir, il avait couru jusqu'à l'aile des domestiques, puis rejoint sa chambre à coucher. Là, il s'était précipité vers son lit et il avait rabattu les couvertures sur sa tête. Les larmes aux yeux, Nevra espérait que l'ombre le laisserait tranquille. Qu'elle ne se hisserait pas jusqu'à la fenêtre pour le maudire ou bien l'attirer dans la haie, là d'où elle venait. Il avait attendu, fébrile, mais rien ne s'était produit.
Nevra n'avait jamais su qui était cette silhouette. Il ne l'avait plus jamais revue. Parfois, il l'oubliait et d'autres fois, il s'en rappelait. Quand c'était le cas, il se demandait si elle avait bel et bien existé ou bien si elle n'avait été que le produit de l'imagination d'un enfant de douze ans, accablé par la perte de son pimpel.
On toqua trois fois à la porte de son bureau. Nevra sursauta. Il rassembla ses esprits, puis réalisa qu'il était en train de se nourrir d'une poche de sang. Il se débarbouilla, puis indiqua à la personne d'entrer.
— Chef, le salua la voix de Fawkes.
— À la bonne heure, mon cher, répondit Nevra en se constituant un masque paisible, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.
Après la réunion dans la matinée, Nevra était retourné dans son bureau. Là, il avait songé aux questions du tap et de la douane dans tous les sens afin de trouver des solutions adaptées. Il était évident qu'il fallait aussi résoudre le problème des black dogs avant qu'ils n'attaquent Albacore, mais ce n'était pas un vampire de sa trempe qui serait capable de s'en charger. Heureusement qu'il pouvait compter sur Valkyon et ses gardiens. Ensuite, il était bon d'enquêter à l'endroit où Fawkes avait trouvé le cadavre du black dog, visiblement empoisonné par une goule mais là encore, le Chef de l'Ombre ne s'y risquerait pas sans des bras armés. Après réflexions, Nevra pensait qu'il serait plus utile pour régler le problème de la douane, même si ça impliquait une confrontation directe avec Miiko Yamamura, la Cheffe de l'Étincelante.
— Par quoi veux-tu commencer ? demanda Nevra.
— Ça dépend. Si dans la mauvaise nouvelle, je dois me trimballer le gardien Chrome, je pense que je vais retourner me coucher.
— Rassurez-vous, il ne m'aura pas à l'usure. Plus important, Fawkes, j'ai pris contact avec le Chef de l'Obsidienne et des gardiens sont prêts à nous prêter main forte pour l'enquête en cours. Vous allez donc rejoindre le Chef Batatume au bastion et vous le guiderez jusqu'à l'endroit où vous avez trouvé le cadavre du black dog. Pendant cette mission, vous serez sous ses ordres. Soyez prudent, Fawkes.
— Bien, aquiesca le gardien, ça, j'imagine que c'est la bonne nouvelle. La mauvaise ?
Nevra souffla par le nez. Il s'appuya contre son bureau avec l'impression que la fatigue de la prochaine mission le touchait alors qu'il n'avait encore rien fait. Mais quand il pensait à l'échéance qui se rapprochait et du long voyage qu'il faudrait entreprendre jusqu'à cette partie d'Eldarya qu'il détestait, il se sentait las.
— C'est bientôt l'heure du transfert. Nous avons encore une semaine pour nous préparer, mais je vais être franc avec vous, Fawkes : on manque de volontaires.
Fawkes hocha la tête. Il comprenait sans mal pourquoi. Le transfert, dont parlait son Chef, était celui de dangereux criminels, détenus dans ce que l'on appelait le couloir de la mort vers l'Île Zéro. Ils étaient nombreux mais plusieurs fois par an, la Garde de l'Ombre vidait ce couloir et d'autres prenaient leur place. Le voyage vers l'Île Zéro était long. Elle se trouvait tout au nord d'Eldarya, au-delà des Terres Gelées. Une toute petite portion du grand royaume des fées et juste avant d'en passer la frontière, il fallait boire une potion qui permettait de résister aux températures extrêmes.
Fawkes ne s'était jamais rendu là-bas. Tout ce qu'il savait, c'était que Nevra prenait systématiquement la charge du transfert des criminels et qu'une fois sur place, il avait toujours à faire avec le même interlocuteur, mais ça ne rendait pas cette mission plus agréable pour autant. Les gardiens qui l'avaient déjà accompagné ne voulaient pas y retourner. Le geôlier les avait terrifiés, tout comme les selkies qui gardaient la prison.
— Je ne veux pas te forcer la main, reprit Nevra, et tout ce que je peux te donner pour cette mission, c'est une belle prime sur ton salaire. Réfléchis-y et tu me rendras réponse plus tard.
— Mais si je vous accompagne, Chef, une fois là-bas, avec qui je devrais traiter ? Le geôlier ?
Nevra hocha la tête. Une fois sur place, il traitait toujours avec un membre de la famille Milliget, la lignée royale du peuple des fées. Le geôlier quant à lui, faisait partie de leurs vassaux et c'était à un gardien de l'Ombre de s'occuper du transfert en sa compagnie. Selon Nevra, il tenait plus de la bête que de la fée mais avec ce genre de créatures, la limite restait mince. Il ne prononçait pas un mot, communiquait avec des gestes et son aspect était sans doute la somme d'accidents ou bien de combats livrés contre plus redoutable que lui. Une véritable gueule cassée qu'il était impossible d'oublier.
Fawkes accusa ces informations en silence. Elles correspondaient avec celles des anciens volontaires et pour l'instant, il ne savait pas vraiment quoi en penser.
— Je vais y réfléchir, déclara-t-il, je vous donnerai une réponse après la mission.
— Tu peux y aller, approuva Nevra, bon courage, Fawkes, et sois prudent.
Le gardien hocha la tête et quitta les lieux. Il serait en sécurité sous la supervision de Valkyon mais si une goule se trouvait réellement dans les parages, la situation pourrait vite mal tourner. Nevra fixa la porte de son bureau. S'il était venu sur le terrain, il aurait fallu veiller à sa sécurité, mais il aurait pu se cantonner à quelque chose de plus stimulant que la paperasse, les règles, les effectifs et le budget. Mais Nevra savait aussi que même accompagné de Valkyon, la faiblesse de son espèce pouvait devenir une charge supplémentaire lors de situations dangereuses. Durant certaines missions, il s'était déjà épuisé en se battant, il avait passé de longues journées à l'hôpital pour guérir de blessures qui cicatrisaient facilement chez les autres et il devait veiller à emporter des poches de sang. Malgré ces inconvénients, Valkyon veillait sur lui et en échange, Nevra se montrait toujours raisonnable sur le terrain.
— La fierté du vampire, souffla-t-il pour lui-même d'un ton sarcastique.
Il quitta la Garde de l'Ombre et prit le chemin du Quartier Général. Nevra savait déjà comment allait se dérouler son entrevue avec Miiko : elle comprendrait, bien entendu. Elle comprendrait, mais sans budget, il était impossible de faire des miracles. Elle lui expliquerait, une fois de plus, qu'il devrait marcher sur des œufs et faire des courbettes face aux bonnes personnes afin d'obtenir une aide financière. Pas ses parents, bien sûr. Les Mircalla se montraient déjà assez généreux auprès de la Garde Étincelante elle-même et ils ne donneraient pas un centime à la Garde de l'Ombre. Nevra appelait ça de vieilles querelles familiales et Miiko ajouterait qu'elle lui avait déjà expliqué cent fois d'apprendre les ficelles de la politique car dans ce genre de situation, il se rendait compte qu'elles lui seraient utiles. Nevra maugréa pour lui-même. Elle avait raison, mais il détestait les faux semblant. Il s'était déjà rendu, plus jeune, au grand palais d'Odrilac'h avec ses parents, sur invitation officiel et il savait que s'il avait dû y passer sa vie, il aurait explosé.
Le Quartier Général se dressait devant lui, telle une tour d'ivoire. Quand il pénétra dans la salle des Portes, Nevra fit face à l'accueil. Derrière un élégant bureau en arc-de-cercle, une bröwnie avec des cornes striées, enroulées sur elles-même, orientaient des personnes qui souhaitaient se rendre à l'hôpital universitaire ou bien dans les étages, pour des rendez-vous administratifs. Twylda Aries, que Nevra connaissait depuis qu'il était enfant, travaillait au réfectoire des obsidiens, à une époque. Seulement, une maladie cardiaque l'avait contrainte à arrêter, alors la Garde Étincelante lui avait offert ce poste d'hôtesse d'accueil.
— Madame Aries, la salua Nevra, auriez-vous une oreille attentive à accorder au Chef de l'Ombre ?
— Bonjour, Nevra. Ça dépend. Est-ce que le Chef de l'Ombre a rendez-vous ?
Nevra grimaça et Twylda lui jeta un regard en biais, bien trop habituée à ses interventions clandestines. Les membres de l'Étincelante avaient des journées chargées et des rendez-vous calés avec soin par Keroshane Fortemps, le secrétaire général. Mais Nevra ne suivait jamais le protocole administratif, car le crime surgissait quand bon lui semblait.
— Est-ce que la Dame Yamamura est disponible ? demanda Nevra, c'est urgent.
— Je vais voir ce que je peux faire, se désola Twylda, la gouvernante la sollicite souvent, en ce moment. Je vais lui envoyer une note. C'est à quel sujet ?
— Le tap. Et vous pouvez rajouter la possible présence d'une goule, aussi.
Twylda pâlit. Elle le fixait comme s'il venait de se transformer, lui-même, en goule. Sans un mot, elle se dépêcha d'attraper un petit morceau de parchemin pour y griffonner quelque chose. Ensuite, elle le roula, puis l'envoya dans un tube à destination du bureau de Miiko.
Nevra patienta, les mains derrière le dos. Il fit quelques pas dans le hall, puis fixa ces même tubes en mithril qui sillonnaient le Quartier Général tout entier depuis des années. Tous les jours, des centaines de notes filaient volontiers et Nevra savait qu'au sein de l'hôpital universitaire, le même système était installé.
— Nevra ! l'appela Twylda, la Dame Yamamura est prête à vous recevoir.
Nevra lui adressa un signe de tête ainsi qu'un sourire aimable, puis se hâta vers les étages. Il les connaissait par cœur. Ceux qui étaient accessibles à la population recensaient les bureaux qui géraient l'éducation, l'urbanisme et l'état civil. Ceux des membres les plus importants de la Garde Étincelante comme Miiko Yamamura, qui en avait la gestion, se trouvaient aux derniers étages.
Nevra n'aimait pas ces couloirs feutrés aux tapis pourpres. Ça lui rappelait le manoir Mircalla. Il se faisait la réflexion qu'avoir le derrière assis sur une chaise luxueuse n'aidait pas le propriétaire de ce même derrière à être plus efficace mais à Eel, il devait admettre que tout le monde faisait de son mieux, Miiko la première. Nevra se souvenait qu'au début de sa carrière, elle avait dû faire ses preuves, car les eeliens ne voyaient pas d'un très bon œil qu'une kitsune d'Inari vienne mettre le nez dans la gestion de leurs affaires. Seulement, la gouvernante Willow Weeping avait reconnu son travail à sa juste valeur et donné le poste que Miiko occupait aujourd'hui.
Une fois devant la porte de son bureau, Nevra toqua trois fois, puis entra quand il y fut invité. À chaque fois qu'il venait rencontrer Miiko, il avait l'impression de voyager jusqu'à Inari. C'était comme si la kitsune avait bâti un morceau de chez elle sur son lieu de travail. De l'encens brûlait en diffusant ses volutes de fumée ainsi qu'une odeur boisée et dans de petits meubles avec de multiples tiroirs, Miiko gardait ses dossiers, ses parchemins, ses plumes et ses encriers. Elle avait accroché des tapisseries représentant des cerisiers en fleurs, mais aussi le portrait d'une femme au teint pâle et à l'allure digne, que Nevra avait toujours soupçonné être sa mère. Miiko aimait beaucoup les ornaks, aussi. Une petite décoration de jade, posée sur son bureau, représentait une femelle en train de veiller sur ses œufs et l'un d'entre eux, en chair et en os, somnolait sur un coussin chauffé, près de plantes exotiques que Miiko taillait régulièrement.
Elle se trouvait debout, à côté de son bureau, une tasse de thé fumante à la main et une missive en provenance d'Odrialc'h, dans l'autre. Nevra reconnut immédiatement le sceau caractéristique de la plus grande cité d'Eldarya : un marteau et une épée qui se rencontraient au-dessus d'une enclume.
— Chef Mircalla, le salua Miiko en interrompant sa lecture, le tap et la potentielle présence d'une goule sur le continent. Dis m'en plus.
Elle reposa la missive sur son bureau et riva son regard bleu sur le Chef de l'Ombre. Elle marchait toujours dans son bureau quand elle réfléchissait, sa longue robe crème à la mode d'Inari glissant sur le sol. Nevra soupçonnait qu'elle n'avait pas dû beaucoup s'asseoir aujourd'hui et que comme toujours, de nombreuses problématiques encombraient son esprit.
— Le problème des douanes qui nous explose à la figure, ma chère Dame, commença Nevra en croisant les mains derrière le dos, j'ai toujours dit qu'augmenter les taxes au port du prisme était une bêtise, et voilà que le tap doit se frayer un chemin aux douanes d'Amzer. Le tap et une goule, en effet. L'un de mes gardiens positionné sur cette enquête a trouvé le cadavre d'un black dog empoisonné au venin de goule.
Nevra évoqua le souci des autres black dogs qui avaient franchi la barrière de rozmarin, mais aussi que des gardiens de l'Obsidienne s'occupaient de ce problème. Miiko l'écouta sans broncher et à la fin de son récit, elle réfléchit quelques secondes, puis déclara :
— Une goule sur notre continent, qui tue un black dog, ne signifie pas que le tap se trouve déjà parmi nous. En revanche, je pense que c'est un signe avant-coureur.
— Oui. Une goule est venue cartographier le continent pour implanter son petit trafic de tap, elle a passé la barrière de rozmarin et s'est faite attaquer par des black dogs, c'est aussi ma théorie, mais…
— … Si une goule s'était montrée, elle ne serait pas passée inaperçue.
Miiko croisa les bras sur sa poitrine, une moue songeuse sur le visage. Nevra et elle savaient que sur le continent du Gabil, là où se tenait Odrialc'h, plusieurs petits villages alentour avaient passé un marché avec les goules en leur ouvrant des ports de fortune pour leurs bateaux, ainsi qu'un abri en échange de grosses sommes d'argent. Mais ici, sur le continent du Beryx, les seuls ports notables étaient celui d'Eel, d'Albacor et d'Amzer. Les morgans avaient beau être accueillants, ils n'auraient jamais permis à une goule de mettre les pieds dans leur village. À moins que les morgans aient décidé de profiter de la position d'une douane à Amzer pour s'enrichir.
— Soit les morgans nous cachent quelque chose, soit ça se passe juste sous notre nez et nous sommes aveugle, réfléchit Nevra, dans tous les cas, l'enquête est en cours. Néanmoins, il nous faut renforcer la sécurité des douanes et retirer cette fichue taxe au port du Prisme !
— Tu en demandes beaucoup.
— Miiko, nous parlons du tap.
— Et moi je te parles de la cité d'Eel.
Nevra s'empêcha de lever les yeux au ciel. Miiko lui répéta un discours qu'il ne connaissait que trop bien : les taxes étaient utiles. Elles servaient à entretenir les rues, les bâtiments publics, les Gardes… Elles augmentaient car des marchands de tous horizons devenaient de plus en plus nombreux sur le marché d'Eel, alors ils devaient contribuer à l'entretien de la cité.
— Très bien, la coupa Nevra, aujourd'hui, j'ai besoin d'une partie des ces merveilleuses taxes pour renforcer la sécurité des douanes. Est-ce que je peux piocher dans le pot commun ?
— Tu ne peux pas, trancha Miiko, les budgets sont déjà établis et d'autres structures ont besoin de cet argent. Je te l'ai dit : tu en demandes beaucoup.
— Dame Miiko, il s'agit…
— Du tap et d'une goule. J'avais déjà compris la première fois. Twylda écrit la langue commune et par bonheur, tu la parles.
Nevra souffla par le nez, agacé. Miiko termina sa tasse de thé, la reposa sur le bureau, puis le fixa avec sérieux.
— Tu en demandes beaucoup, répéta-t-elle, mais tu ne le demandes pas aux bonnes personnes.
— Ne me parle pas de politique.
— Comment fonctionne la Garde Absynthe, Nevra ? répliqua Miiko, qui entretient notre hôpital ? Tu penses qu'Ezarel est ravi de devoir courber l'échine devant les fées ? Mais s'il ne le fait plus, notre système de santé s'effondre et nos futurs médecins et alchimistes ne pourront plus être formés.
— Eh bien qu'Ezarel m'accompagne sur l'Île Zéro dans une semaine, alors. Il pourra faire des courbettes devant les fées autant qu'il le voudra et le geôlier en sera très heureux.
Miiko lui jeta un regard las, mais Nevra ne broncha pas. Depuis qu'il occupait son poste de Chef de l'Ombre, il avait toujours travaillé d'arrache-pieds pour que les impôts des eeliens financent un service capable de les protéger. Mais il savait aussi qu'il avait eu beaucoup de chance que le tap ne vienne pas gangréner la cité d'Eel, jusqu'à aujourd'hui.
— Nevra, l'interpella Miiko, je pense qu'il est effectivement capital de renforcer la sécurité des douanes sur les trois ports du continent. Mais Eel ne peut pas financer ta demande. En revanche, il y a de nobles familles, au grand palais d'Odrialc'h, qui pourraient supporter ta demande, comme la famille Fontaine.
— Ces gens ne jurent que par les livres, cracha Nevra, pardonnes-moi, Miiko, mais aussi étrange que ça puisse paraître, je sais comment vivent les nobles. Je sais comment passent leurs journées dans un monde qui n'est pas le nôtre et quand ils mettent un pied dehors, ils s'étonnent qu'une réalité comme la nôtre puisse exister ! Comment veux-tu que les Fontaine comprennent quelque chose à la douane !
Miiko ne répondit pas. Son ornak, que l'agitation avait réveillé, détendit son corps longiligne et glissa sur le sol jusqu'au bureau de sa maîtresse pour se hisser sur le siège. Miiko lui offrit une main et quand il vint y poser sa tête, elle lui gratta la mâchoire. Après quelques instants de silence, elle déclara avec calme :
— Si tu n'étais pas aussi borné, tu saurais que le fils unique des Fontaine est un génie qui prendra la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h une fois que l'éminente Ysul Gra Bolumbash prendra sa retraite. Ses parents le font étudier dans ce but, alors former un partenariat avec les Fontaine pourrait être un bénéfice sur le long terme, Nevra. Si ça te dérange, alors tu peux t'adresser directement à l'éminente Gra Bolumbash et si ça aussi, tu ne peux pas t'y résoudre, alors donne ton poste à quelqu'un d'autre.
Miiko lui adressa un regard lourd de sens, puis lui indiqua que la décision lui revenait. S'il décidait enfin d'utiliser son nom et sa position pour le bien de sa Garde en tissant des liens avec les grandes familles d'Eldarya, elle serait disposée à l'aider.
— Je n'ai pas de budget à t'accorder pour renforcer la sécurité des douanes, reprit-elle, tu vas devoir trouver un autre moyen.
— Bien, répondit Nevra d'un ton acide, je vais y réfléchir.
Malgré tout ce qu'il pouvait bien penser de la noblesse eldaryenne, il allait y réfléchir, parce que le tap menaçait de se présenter aux portes d'Eel et sur le continent du Beryx. Nevra refusait de voir la cité devenir comme le quartier d'Abenadur, à Odrialc'h. Il se demandait, d'ailleurs, si le chef de la police, là-bas, était aussi têtu que lui, à refuser de manger dans la main des seigneurs pour plus de moyens, ou bien si on refusait tout simplement de l'aider.
Une fois dehors, Nevra se passa une main sur le visage. Il lui fallait réfléchir correctement et prendre la meilleure décision possible.
— Contrairement à toi, je suis très occupé, alors je n'ai pas le temps d'attendre. Tu vas donc faire ce petit travail et quand tu auras fini, ma mère aura sûrement du temps à t'accorder pour écouter ton message. Tu as compris ?
Oui, Théanore avait compris. Seulement, il ne savait pas combien de temps la tâche de Candice lui prendrait, ce qui était ennuyeux. Il jeta un regard au matériel alchimique, un autre à l'éprouvette, puis il songea à la situation des skanis. La reine attendait son information.
Il hésita quelques secondes, puis osa demander :
— J'ai compris, kemesh Candice. Puis-je vous demander combien de temps prendra la combinaison de ces substances ?
— Le temps qu'il faudra, cracha Candice, tu as intérêt à être attentif. Si tu sabotes mon travail à cause de ta stupidité, tu le paieras.
— Shaw.
Candice quitta le laboratoire et Théanore se retrouva avec l'éprouvette sur son support et le matériel alchimique pour seule compagnie. Il souffla par le nez mais, les mains croisées sur sa robe, il attendit religieusement que le travail de Candice s'achève, afin qu'il puisse ajouter le liquide orange. Il ne savait pas de quoi il s'agissait, ni même sur quoi le prince travaillait et il n'était pas assez idiot pour poser la question.
Le temps était long. La porte du laboratoire laissée ouverte permettait à Théanore d'entendre la vie du palais. Il savait que ses trois sœurs, Mu, Gamma et Epsilon se trouvaient dans le colisée à diriger l'entraînement de la dernière génération des Hydra, une lignée guerrière. Resha, une autre de ses sœurs, était la dame de compagnie de Sira Milliget. Théanore la remerciait de tenir ce rôle, qui aurait pu lui revenir en tant que l'une des fées les plus faibles de son adelphie. Resha veillait à ce que Sira ne se promène pas dans les endroits qui lui étaient interdits et ne dérange pas ses frères et sœurs, très occupés. Par bonheur, Resha était douce et patiente. Sira l'adorait, parce que même si Resha ne connaissait pas la médecine, elle était savante sur le dessin, la littérature, la faune du royaume des fées et elle avait assez de patience pour l'écouter pépier toute la journée.
La fée Musca attendit encore. Les minutes s'étiraient et quand enfin, les substances cessèrent leur combinaison, Théanore attrapa l'éprouvette et versa le liquide orange. L'odeur qui se dégagea du mélange lui fit froncer le nez. Il toussa, reposa l'éprouvette sur son support et se dépêcha de quitter le laboratoire.
Enfin libéré de son travail, Théanore rejoignit l'escalier central, jusqu'aux grandes portes de la salle du trône. Il se saisit du heurtoir, frappa, puis attendit que sa reine lui intime d'entrer.
— Minakimm, l'invita la reine Delta.
Théanore entra. Quand il se rendait à Rhenia-Gaear, il avait parfois l'occasion de visiter le manoir du marquis Maximillien Ville de Fer. Théanore se demandait comment la bâtisse pouvait rester debout tant elle croulait sous de la fioriture inutile censée l'embellir. Ici, la salle du trône était vaste, simple et fonctionnelle. Un haut siège de glace éternelle avait vu défiler la lignée des Milliget, depuis Jack leur ancêtre, jusqu'à Polaris avant son départ, puis Delta. Le trône obéissait à la vieille magie des fées et Théanore savait qu'il était capable d'invoquer la guerre grâce à un vieux traité, mis en place par l'ancien roi Polaris.
La reine était en train de s'entretenir avec son fils, Shelma. Ce dernier était la seconde fée la plus puissante de son adelphie, mais aussi le premier prétendant au trône. Candice était le deuxième. Théanore pensait que Shelma avait plus l'étoffe d'un roi. Juste et réfléchi, il voulait pousser son peuple à la rencontre de ceux qui étaient arrivés avec le Grand Exil, parlementer avec eux et se hisser au-delà de leur lutte de pouvoir afin que la régence naturelle des fées reprennent les rennes du monde. Shelma pensait que si les espèces originelles régnaient de nouveau, alors l'Eldarya en train de dépérir pouvait être sauvée. Candice, lui, voulait soumettre les autres peuples par la force. Les adorateurs des fées n'auraient rien à craindre de son règne, mais ceux qui résistaient finiraient par être écrasés. De plus, il disait toujours que les espèces originelles qui ne se battaient pas pour récupérer leur régence ne méritaient pas le pouvoir. Lorsque viendrait le moment d'élire le nouveau roi, Théanore, comme toutes les autres fées, aurait son mot à dire et il savait déjà que son choix se porterait sur Shelma.
— Hakhalma Delta, kemesh Shelma, les salua Théanore, excusez-moi de vous interrompre.
— Tout va bien, Musca orcha, j'avais terminé, le rassura Shelma.
La fée Milliget lui jeta un regard bienveillant. Si les yeux de Candice étaient d'un gris d'acier comme deux poignards, ceux de Shelma faisaient penser à une brume paisible. Avec sa peau d'ivoire, son visage volontaire au front haut, ses longues boucles irisées et même le son de sa voix grave qui s'exprimait toujours avec justesse et bonté, Shelma aurait pu incarner un hiver qui n'aurait terrorisé personne. Dans les yeux de son frère, Sira, il était un dieu.
— Adott, kemesh, le remercia Théanore en lui adressant un sourire poli.
Shelma hocha la tête, salua sa mère et quitta la salle du trône. Une fois seuls, la reine Delta invita Théanore à parler :
— Musca orcha, est-ce que tu as pu obtenir les informations que je t'ai demandées au sujet des skaniss ?
— Shaw. Votre intuition à été juste : des éleveurs œuvrant pour les purrekos ont récupéré les petits abandonnés par leur mère et les ont emmenés sur un autre continent. Le marquis Ville de Fer a cru qu'il était juste que ces petits aient une seconde chance auprès des éleveurs, alors il les a laissé partir cependant, il est prêt à réparer sa faute en envoyant une partie de ses serviteurs les rattraper.
— Je vois. Le marquis Ville de Fer est un faelien et comme la plupart des faeliens, il pense que tous les familiers peuvent être domestiqués. La démarche des éleveurs est entendable, mais des familiers qui grandissent sous le manteau de l'hiver ne doivent pas connaître la captivité ailleurs. Je vais rédiger une missive à l'attention du marquis. Dorénavant, ses serviteurs iront récupérer les skaniss nouveaux-nés abandonnés par leur mère et ils grandiront au sein du royaume des fées. Les éleveurs faeliens ne doivent plus mettre la main sur eux.
Théanore acquiesça. Il attendit que la reine Delta le congédie, mais elle semblait réfléchir à quelque chose. Ses mains pâles étaient croisées sur sa robe bleue et ses yeux gris fixaient un point invisible sur le sol. Sa couronne d'or ressemblait à un soleil qui se levait sur la mer de son chignon couleur saphir et même si parfois elle pesait lourd, Delta restait digne.
— Théanore, l'interpella Delta, est-ce que ton frère, Lezat, vit toujours sur l'Île Zéro ?
Tout d'abord surpris par la question, la fée Musca lui répondit que c'était toujours le cas. Lezat était le geôlier de la prison des Milliget et il y vivait, avec les selkies et matons qui s'étaient également établies sur l'île. Lezat faisait comprendre à sa famille que c'était mieux pour lui de demeurer là-bas à cause de sa fonction, mais Théanore pensait que ce n'était pas la seule raison.
— Il ne revient jamais dans votre maison ? demanda de nouveau la reine.
— Noll, hakhalma. Il pense que c'est mieux pour sa fonction de rester sur l'Île Zéro.
— C'est lui qui te l'a écrit ou bien c'est ce que tu as compris ?
— C'est…
Il n'en était pas sûr. Depuis combien de temps Théanore n'était-il pas allé voir son frère ? Plusieurs jours, peut-être plus d'une semaine… Il ne s'en souvenait plus. Ses tâches l'avaient accaparé,
— C'est ce que j'ai compris, hakhalma. Je ne suis pas certain que Lezat ait écrit à ce sujet, mais il dédie chaque journée à la charge de la prison.
Delta hocha la tête.
— La vie sur l'Île Zéro est très rude, déclara la reine, elle n'est pas un endroit où un vassal des Milliget peut résider. Lezat devrait revenir dans son foyer une fois son travail achevé et déléguer le reste aux matons. J'ai conscience que c'est difficile pour lui, mais sa famille doit le soutenir.
— Shaw.
La reine Delta avait raison. Le père des Musca était déjà absent de leur foyer parce qu'en vassal loyal, il avait suivi Polaris quand ce dernier avait dû quitter le royaume des fées. Lezat préférait vivre aux alentours de la prison et Théanore était certain que c'était pour épargner son aspect difforme et son esprit troublé à ses frères et sœurs. Mais rien n'était plus important que la famille et en tant que vassaux des Milliget, les Musca devaient montrer l'exemple.
Première semaine de June à Odrialc'h
Le passage dans la grande rue du quartier de Meskem ressemblait à un bourdonnement, depuis la fenêtre ouverte du salon. Au début, Joseph ne parvenait pas à s'y habituer. Odrialc'h vivait le jour et la nuit. La population se transformait avec le lever et le coucher du soleil mais les bruits de la ville quant à eux, ne cessaient jamais. Eel était beaucoup plus calme. Les Ael Diskaret vivaient loin du centre-ville, en périphérie de la cité, avec le chant des vagues ainsi que la causerie des lappys. C'était une autre vie et même si Joseph avait toujours la nostalgie de la cité blanche, il savait qu'Odrialc'h apporterait de belles opportunités à sa famille.
Cristal avait trouvé un beau local pour sa boutique. Elle cherchait de jolis meubles chez les antiquaires et avec les bijoux qu'elle réaliserait, elle voulait vendre des produits de la mer grâce à un commerce avec Amzer. Cristal était ravie de son affaire en devenir. C'était son rêve depuis plusieurs années et maintenant qu'elle le caressait, elle ne manquait pas d'idées.
Helouri - Joseph souffla par le nez. Helouri… - lui causait du souci, comme toujours. La veille, Joseph et son fils étaient partis marcher sur le port afin de se sentir en harmonie avec l'océan, mais cela signifiait aussi avoir une discussion sérieuse. L'énième d'une longue série. Joseph savait que Helouri tenait à s'inscrire à l'université de médecine de la Grande Auréole. Après cinq échecs à la Garde Absynthe, à Eel, Helouri pensait qu'il s'en sortirait mieux loin de la tyrannie d'Ezarel Sequoïa. Seulement, son père n'était pas vraiment convaincu que l'exigeance perfectionniste du Chef de l'Absynthe soit la seule responsable de ses échecs répétitifs.
Joseph se rendit dans la cuisine pour se servir un verre d'eau. Helouri était fragile, Helouri était anxieux, Helouri avait un souci au cœur, Helouri avait une malformation aux branchis, Helouri n'avait pas d'amis, Helouri s'accrochait à sa mère, à son père et à sa sœur… Parfois, Joseph se demandait s'il était bon de continuer d'encourager Helouri dans des études aussi complexes que celles de la médecine. En tant que parent, il voulait que ses enfants construisent leur vie comme ils le voulaient et s'accrochent à leurs objectifs, mais que faire si ces derniers les détruisaient ?
Joseph quitta la cuisine pour rejoindre le premier étage. Cristal et lui feraient de leur mieux avec Helouri, comme toujours, comme avec leur fille, qui avait son propre avenir à construire, mais aussi une facheuse tendance à foncer tête baissée. Il sourit en se rappelant le jour de leur emménagement. June et Helouri étaient sortis acheter à manger et quand ils étaient revenus, Cristal avait poussé un cri d'horreur face aux vêtements de June, couverts de poussières, sans compter ses cheveux en bataille. June avait raconté qu'elle s'était lancée à la poursuite d'un voleur qui avait dérobé la gourmette d'Helouri mais heureusement, la Capitaine était arrivée et le voleur avait fini par obtempérer. Joseph avait cru que sa femme allait perdre connaissance ce jour-là.
Une fois sur le seuil de la chambre de June, il frappa à la porte et attendit qu'elle lui dise d'entrer. Il s'accouda au chambranle, puis lui demanda :
— Est-ce que tu veux venir te promener sur le port, ma fille ?
Ensevelie sous une pile de désordre, June en sortit fièrement la tête, brandissant victorieusement une chaussette tel l’étendard d’une rude bataille.
— J’arrive ! s’exclama-t-elle en enfilant l’ennemi vaincu.
Les promenades en compagnie de Joseph signifiaient toujours de longues discussions sérieuses, et si parfois June préférait qu’on ne l’ennuie pas avec des discours terre à terre, elle appréciait ces moments privilégiés avec son père. Et puis aujourd’hui, elle était assez certaine d’échapper aux sujets de ses béguins intempestifs, parce qu’elle n’avait pas encore eu le temps de rencontrer des gens susceptibles de lui plaire. Elle se rappelait encore de la fois où, mortifié, Joseph lui avait demandé d’arrêter de s’introduire sur les remparts dans la seule optique de dire bonjour à Balam, l’un des guetteurs de la garde d’Eel, parce que ça commençait à agacer ses supérieurs. June avait accepté de bonne grâce, parce qu’entre temps, elle avait décrété que Balam était trop vieux pour elle et qu’elle préférait nettement cette nouvelle gardienne tout juste arrivée dans l’obsidienne et à qui elle s’était fait une joie de faire découvrir les recoins de la ville.
— Je suis prête ! dit-elle en ricanant bêtement à ce souvenir. On y va ?
Ils quittèrent la maison pour se retrouver sous un ciel de feu. Joseph devait avouer que les couchers de soleil à Odrialc'h étaient magnifiques et que même si on entendait peu les lappys en marchant sur le port, les chansons des artistes de rue étaient agréables.
Ils traversèrent la place des Échanges, s'arrêtèrent devant les créations d'un tanneur et d'un armurier, admirèrent le travail d'un forgeron elfique spécialisé dans le mithril, puis atteignirent le port de Shamshara. Là, des bateaux ammarés à quai somnolaient comme de gigantesques créatures faites de bois et de métal. Joseph se rappelait d'une journée, à Eel, où les Mircalla avaient autorisé la visite d'un de leur prestigieux voilier. Il avait accompagné June et Helouri à bord et s'ils avaient été ravis, Joseph avait trouvé la décoration des lieux assez tape-à-l'oeil.
Sur le port de Shamshara, des gardes civils patrouillaient. La plupart d'entre eux étaient des orcs et bientôt, Joseph se trouverait parmis eux. Il avait prévu de rejoindre le corps armée d'Odrialc'h afin de protéger la population, comme il le faisait déjà au sein de la cité d'Eel. Valkyon Batatume l'avait recommandé avant son départ et dans les prochains jours, Joseph prendrait ses fonctions.
— Alors, ma fille, qu'est-ce que tu as décidé de faire, dans les prochaines semaines ?
June se pencha pour regarder les reflets du soleil sur les vagues. Le scintillement était apaisant et lui permettait de concentrer le flux de pensées dans sa tête. Elle observa un lappy frôler l’océan puis fuser vers les nuages, puis elle tortilla une mèche de cheveux cendrée autour de son doigt.
— Je ne sais pas trop… soupira-t-elle. Odrialc’h offre tellement d’opportunités ! Je pensais que ça me plairait, mais finalement, je m’y perds. Tous les matins, je me réveille avec une nouvelle idée en tête, c’est difficile de me projeter. Tiens, par exemple, hier je me disais que je pourrais apprendre à jouer du violon et devenir danseuse.
Elle roula des yeux, fière de sa plaisanterie - la danse, comme le chant, n’était pas son point fort. June redevint sérieuse et adressa un sourire penaud à son père.
— Tout ce dont je suis sûre, c’est que j’aimais beaucoup mon travail à la Garde Obsidienne, mais que je n’ai pas forcément envie de faire la même chose ici. J’ai besoin de me dépenser, il me faut de l’action, tu vois ? Quand j’ai poursuivi ce voleur, c’était incroyable ! Mais patrouiller dans la ville, ça m’ennuyait un peu. En plus, il fallait se taire, et ça…
Elle s’affala sur une rambarde avec un air dramatique, sa tresse coulant jusqu’au sol dans une tornade de mèches emmêlées. Joseph pouffa. Il s'était souvent demandé si June voudrait rejoindre le corps armée d'Odrialc'h et même s'il ne voulait pas influencer son choix, il pensait que c'était une mauvaise idée. L'armée d'Eel enseignait des règles, mais Valkyon était assez compréhensif pour accepter les différentes personnalités de tous ses gardiens. Odrialc'h serait exigeante et intransigeante. June ne s'y plairait pas, Joseph en était certain.
Il laissa le vent salin s'engouffrer dans ses boucles nacrées, une main sur la rambarde, puis évoqua d'un ton badin.
— Tu sais, une fois quand j'avais quatorze ans, je me suis réveillé un beau matin en décrétéant que je serais bottier. Je me suis dépêché de trouver un maître d'aprentissage et dès mon premier jour, j'ai détesté ce métier et je ne suis jamais revenu.
Il était difficile de trouver sa voie. Pour June, Joseph avait réfléchi. En se rendant au bastion du Grand Espadon, il avait pu rencontrer des inspecteurs, mais aussi en apprendre plus sur leur façon de fonctioner, bien différente d'Eel.
— En allant récupérer mon uniforme hier, j'ai croisé un inspecteur pendant que j'attendais. Il enquête sur les différents traffics de tap à Abenadur et je n'ai pas pu m'empêcher de me demander comment il pouvait se rendre sur le terrain car, tu comprends, c'est un vampire.
Loin d'avoir un quelconque jugement de valeur envers les vampires, Joseph savait, comme tout le monde, à quel point leur condition physique leur faisait défaut. Outre leur besoin quotidien de sang, les vampires se fatiguaient très vite, mettaient plus de temps à récupérer de leurs blessures et supportaient très mal la chaleur. Il leur était impossible d'intégrer un corps armée et bien souvent, ils se cantonnaient aux métiers administratifs ou artistiques.
— Cet inspecteur m'a expliqué qu'à Odrialc'h, ils fonctionnaient en binôme, poursuivit Joseph, Le chef de la police prend toujours soin de mettre un vampire avec une personne d'une autre espèce formée au combat ainsi, les vampires peuvent exercer en temps qu'inspecteur.
Joseph de tourna vers sa fille et lui demanda :
— Qu'est-ce que tu en penses, June ? Exercer sur le terrain en tant qu'inspectrice tout en protégeant ton binôme vampire ?
June plissa les yeux en essayant de s’imaginer inspectrice. En était-elle seulement capable ? Ce rôle impliquait beaucoup de lectures et d’analyses, et si la seconde ne lui posait pas de problème, la première restait difficile. June était née incapable d’assembler les lettres et les chiffres. À Eel, ses parents avaient trouvé un professeur capable de l’aider sitôt ce handicap découvert, et si aujourd’hui, elle pouvait déchiffrer un message, ça lui prenait beaucoup de temps et elle ne lisait aucun livre d’elle-même, car l’exercice lui donnait beaucoup trop mal au crâne.
Mais si Joseph lui proposait d’intégrer la police, c’était parce qu’il croyait en ses compétences. Et puis, ce serait l’occasion de retrouver le voleur à la perruque douteuse pour qu’il ne recommence pas ses méfaits. June esquissa un sourire timide, et hocha la tête, de plus en plus confiante à mesure que l’idée creusait son nid.
— J’en dis que ça vaut le coup d’essayer, répondit-elle. Et que ça me changera des patrouilles ! Tu imagines ? Peut-être qu’un jour, je serais cheffe de la police.
Elle haussa exagérément les sourcils, ce qui fit sourire son père. June n’avait pas l’ambition de diriger quoi que ce soit. Trouver un travail qui l’animait, découvrir le monde et ce que la vie avait à lui offrir, ça lui suffisait amplement pour l’instant.
Premier jour de June en tant qu'apprentie inspectrice
Elle était restée sur cette idée de devenir inspectrice. Elle l'avait observée sous tous les angles, remise en question pour finalement y revenir, puis elle avait choisi d'assister à une journée d'immersion avant de s'inscrire à l'examen. June avait été retenue. Même si ses capacités de lecture lui avaient fait défaut, son expérience au sein de la Garde Obsidienne lui avait été bénéfique, tout comme son caractère enjoué. De plus, la police d'Odrialc'h manquait cruellement d'inspecteurs capables de se battre pour protéger leurs vampires.
June avait reçu, la semaine passée, une missive lui demandant de se présenter ce matin-même à la police d'Odrialc'h. Elle leva la tête pour observer le haut bâtiment qui se dressait devant elle et se fit la réflexion qu'à l'image de la Garde de l'Ombre, il devait abriter des bureaux ainsi que les prisons en sous-sols. Les salles d'interogatoires aussi. Elle frissona, puis entra dans la cour intérieure. Elle entendit croasser et tourna vivement la tête vers la volière. Là, plusieurs paires d'yeux rouges la fixaient avec intensité, comme s'ils savaient qu'elle était une intruse, du moins pour l'instant.
— June Albalefko ?
Elle eut un sursaut et quand elle se retourna, elle fit face à un brownie en armure de cuir. Il arborait un air jovial sur son visage rond, constellé de tâches de sons. De petites rides aux coins de ses yeux d'ambre témoignaient d'un rire facile, en écho avec son sourire naturel. Le brownie devait avoir dans la vingtaine. De longs cheveux auburn coulaient sur ses épaules et au sommet de son crâne, ses grandes oreilles s'agitaient dès qu'elles captaient des sons.
— Isaac Burrini, se présenta-t-il en lui tendant la main, je sais que tu devais rencontrer le chef Gozen, mais il a eu une urgence. Donc c'est moi qui vais te faire un petit topo avant de te présenter ton binôme.
— Enchantée ! sourit June. June Albalefko, mais visiblement, tu avais un coup d’avance sur moi.
Les premiers jours étaient toujours difficiles quand on était le nouveau, mais June avait un caractère facile qui lui permettait de s’intégrer facilement presque n’importe où. Elle comptait sur ses compétences pour être à l’aise le plus vite possible, parce qu’il n’était jamais agréable de ne pas savoir quoi dire à la personne en face de soi, et s’il y avait bien une chose que la jeune femme détestait, c’était le silence. Il l’angoissait beaucoup, elle espérait donc que son binôme soit aussi sympathique qu’Isaac.
Le brownie la conduisit vers le bâtiment principal tout en lui rappelant le fonctionnement de la police d'Odrialc'h. Elle était dirigée par Tenjin Gozen, un kitsune originaire des Côtes de Jade et comme elle comptait beaucoup de vampires, il fallait des combattants pour les protéger.
— Sur le terrain, on réfléchit avec son binôme, expliqua Isaac, mais pour le reste, on se répartit les tâches : les combattants s'occupent de la protection et de l'escorte et nos chers vampires gèrent la paperasse. Pour ma part, ça me va très bien, j'ai horreur de ça et puis Azalée préfère cent fois écrire sur ses petits parchemins en buvant un thé.
Isaac plaisanta en évoquant son binôme, Azalée, un vampire guindé mais plaisantin. Isaac était nerveux les premiers jours mais avec Azalée, il ne s'ennuyait jamais et les enquêtes étaient intéressantes.
— Ton binôme est Rose Clarimonde, poursuivit-il, il est dans son bureau… Enfin votre bureau maintenant. Il t'expliquera les enquêtes en cours et te guidera les premiers jours le temps que tu prennes tes habitudes.
June fut soulagée d’apprendre qu’elle n’aurait pas à gérer la partie administrative. Elle dû s’empêcher de presser le pas et Isaac de mille questions auxquelles Rose Clarimonde s’attendait sûrement à répondre. Un sourire jovial sur les lèvres, elle hochait la tête à chaque information, qu’elle notait soigneusement dans un coin en espérant ne pas les oublier tout de suite.
Ils traversèrent le hall pour monter vers les étages, où se trouvaient les bureaux des inspecteurs, ainsi qu'un joyeux désordre et des gens pressés. On se hâtait dans les couloirs, on se rappelait des informations importantes à tue-tête en criant des phrases codées, on consultait des plans de la cité sur les murs ou bien les portraits de criminels recherchés. Sur l'un d'entre eux, une vampire entre deux âges souriait à June d'un air cruel et son regard, bien que tracé à l'encre, la transpperçait comme s'il pouvait lire ses secrets les plus intimes.
Le bureau de Rose Clarimonde se trouvait proche d'un escalier qui menait directement vers le hall. June nota qu'il y en avait beaucoup et Isaac lui indiqua que c'était pour éviter de faire des pas et d'encombrer les couloirs. Elle apprendrait bien vite que tout le monde était toujours pressé.
Isaac s'éclaircit la gorge, toqua à la porte et quand une voix monocorde l'invita à entrer, il s'exécuta.
Rose Clarimonde était en train d'écrire quelque chose sur un parchemin et quand Isaac et sa nouvelle binôme entrèrent, il se leva de son siège. Rose était le parfait antonyme de ce que June pouvait espérer avoir comme futur collègue. Contrairement à la personnalité solaire d'Isaac, il n'inspirait que la pénombre, tant par son apparence que par la morosité qui l'enveloppait comme une aura. Ses vêtements, entièrement noir, faisaient ressortir le teint pâle de sa peau, mais aussi le vert opalin de ses yeux. Son visage était scindé en deux par une lourde frange de cheveux sombres qui se mêlaient à ses habits et sa silhouette famélique semblait si fragile que même l'obscurité pourrait l'emporter dans un souffle.
— Bonjour, Rose, le salua Isaac.
— Bonjour.
— Je te présente June, ta nouvelle binôme. C'est moi qui l'ai accompagnée ce matin, le chef avait une urgence. Enfin, tu vois bien.
— D'accord.
Le silence s'installa. Rose croisa le regard de June pour le fuir aussitôt. Isaac finit par s'éclaircir la gorge, puis se tourna vers June.
— Bon, eh bien June… Rose… Je vais vous laisser…
— D’accord, sourit June sans vaciller. Merci pour la visite guidée, Isaac ! J’espère qu’on se croisera bientôt.
Elle attendit que le brownie quitte la pièce pour se tourner de nouveau vers Rose. Le vampire lui faisait penser à une flaque d’encre dans laquelle on pourrait facilement se noyer… June, imperturbable, décréta que Rose serait son défi journalier : si elle parvenait à le faire sourire, alors elle aurait réussi quelque chose. Aussi, elle tendit la main avec sa bonne humeur habituelle et désigna ses vêtements d’un geste du menton.
— C’est bien, on pourra facilement nous différencier, toi tu seras le croquis au fusain et moi, le brouillon bariolé, releva-t-elle avant de préciser qu’elle dessinait beaucoup et d’enchaîner sans attendre. Je suis June, c’est un plaisir de te rencontrer, Rose ! Je peux t’appeler Rose ? Tu préfères qu’on s’appelle par nos noms de famille ? Je trouve que c’est un peu long, mais c’est toi qui vois.
Rose la fixait comme si son esprit prenait le temps de traiter toutes ses paroles. Ses sourcils se haussèrent pour aller se dissimuler sous sa frange et lorsque le silence revint, il sembla chercher ses mots.
— Je ne vois aucun inconvénient à ce que nous utilisions nos prénoms respectifs. Ce sera plus facile pour le travail.
Rose invita June à s'asseoir d’un geste de la main, puis l’imita, les membres raides comme s’il craignait que son propre siège se dérobe. Il ne savait visiblement pas comment guider sa nouvelle collègue. Après quelques hésitations, il s’appliqua à lui partager quelques règles :
— Monsieur Gozen a mentionné que vous aviez servit la Garde Obsidienne à Eel. Je ne sais pas comment vous travailliez là-bas, mais ici, même si vous êtes inspectrice, votre tâche principale reste la protection de votre binôme. Je peux prendre toute la responsabilité administrative tant que vous me permettez de progresser sur le terrain. Ça passe aussi par les altercations difficiles avec la gestion de personnes violentes ou sous emprise du tap. Pour le reste, faites comme bon vous semble.
— Aucun problème ! s’exclama joyeusement June.
La perspective de ne pas toucher une plume lui convenait parfaitement. Elle tendit les doigts pour attraper l’une de celles qui ornaient le pot à crayon de Rose, la fit tourner entre ses doigts puis sourit à nouveau.
— Je ne paie pas de mine comme ça, je sais bien, reprit-elle. Comme je suis petite, les gens me sous-estiment beaucoup. C’est un avantage, mais parfois c’est pénible. En tout cas, ne t’inquiète pas, avec moi, tu seras bien escorté ! Et franchement, il vaut mieux que ça soit toi qui gère les papiers. Je ne suis pas très bonne avec les écrits.
June ne cachait pas son handicap, et encore moins aux gens susceptibles d’en être impactés. Elle expliqua rapidement à Rose sa problématique, puis s’arrêta enfin de parler pour respirer, avant de froncer les sourcils.
— D’ailleurs, tu vas me vouvoyer tout le temps ? C’est formel, non ? Enfin, tu as l’air très formel. Mais c’est moins efficace, tu ne trouves pas ?
— Le vouvoiement permet de maintenir certaines barrières nécessaires au travail. Vous ferez comme bon vous semble. Vous avez pu voir qu'Isaac ne me vouvoie pas et il ne vouvoie pas son binôme non plus.
Ce constat posé, Rose hésita quelques secondes, puis finit par proposer à June une visite des lieux avant de la mettre au courant des affaires en cours. Quitter son bureau semblait lui demander beaucoup d'efforts, mais pour l'accueil de sa nouvelle binôme au sein de la police, il devait lui montrer son nouveau lieu de travail.
— Il y a des endroits qui vous sont accessibles en tout temps et d'autres qui nécessitent une autorisation. Je peux vous montrer le bâtiment et pour ce qui est de l'institut médico-légal de la Grande Auréole, nous nous y rendrons le moment venu. Il nous arrive d'assister aux autopsies dans certaines affaires.
— D’accord !
June s’empêcha de s’extasier à l’idée d’assister aux autopsies. Non pas que les cadavres l’attirent particulièrement, mais elle était fascinée par les croquis d’anatomie qui ornaient les cahiers d’Helouri. La morne rigueur de Rose ne douchait pas son enthousiasme, d’autant qu’elle avait hâte de commencer à travailler pour de bon.
— Est-ce que je vais te suivre tout de suite dans les enquêtes en cours ? demanda-t-elle. Sur quoi tu travailles, en ce moment ? Je comprendrais si tu préférais que je m’adapte d’abord, mais j’apprends beaucoup mieux en faisant qu’en étudiant ! Après, c’est toi le plus vieux, donc c’est toi qui vois. Enfin, le plus vieux, le plus expérimenté, disons. J’imagine qu’on ne se connait pas encore suffisamment pour que tu me donnes ton âge, mais à vu de nez, tu ne dois pas être beaucoup plus jeune que moi.
— Vous viendrez directement sur le terrain avec moi, répondit Rose en se levant, Je n'ai pas pu y retourner depuis un long moment à cause d'un manque d'effectif et pour les affaires en cours, il est important de pouvoir se rendre au quartier d'Abenadur.
Il éluda les autres questions. En quittant leur bureau, Rose s'appliqua à faire visiter les lieux. Le hall comprenait des points d'accueil avec des policiers chargés de prendre les plaintes des victimes et de les accompagner, pendant que le premier étage était réservé aux enquêteurs. Il y avait également des salles de réunions destinées aux rapports d'enquête auprès de la magistrature, mais Rose ne s'y rendait jamais. Il préférait adresser directement son rapport par missive.
— Les prisons se trouvent aux sous-sols, expliqua Rose, le premier est pour la garde à vue, les seconds, troisième et quatrième, pour les cellules et le dernier, ce sont les salles d'interrogatoire. Les prisons sont gérées par des maîtres des illusions et il faut une autorisation pour y entrer.
Ensuite, Rose parla à June de l'auberge du Corko, dans la même rue que le bâtiment de police. C'était le lieu où les membres de la police venaient se restaurer, avec un rabais sur le prix des plats sur présentation d'insignes.
— La patronne a un partenariat avec la police. Les repas sont directement déduits de votre salaire. Vous pouvez aller manger à l'auberge ou bien chez vous.
Pendant qu'ils se promenaient sur les lieux, beaucoup d'inspecteurs souhaitaient la bienvenue à June. Ils la saluaient, lui racontaient volontiers quelques anecdotes et lui indiquaient qu'elle ne devait pas hésiter à venir frapper à la porte de leurs bureaux si elle avait besoin d'un conseil. Rose, quant à lui, était systématiquement ignoré. Loin de s'en formaliser, il attendait que les discussions se terminent, puis il reprenait la visite.
June remarqua rapidement que personne n’adressait la parole à son binôme. Pourtant, comme il n’en faisait pas cas, elle l’imita et conversa joyeusement avec tous ceux qui lui parlaient. L’ambiance ici semblait être à l’entraide, et ça lui rappelait un peu la Garde. C’était plaisant, sauf que l’attitude des autres vis-à-vis de Rose lui posait question. Son partenaire avait-il commis quelque impair ? Ou était-ce la morosité qui s’échappait de tous ses pores qui maintenait les gens à distance ? June penchait pour la seconde option, mais elle attendait de le connaître un peu mieux avant de se faire un avis.
Elle profita d’un moment de calme pour s’étirer, sourit au vampire et posa les poings sur ses hanches, ravie de son nouveau poste.
— Alors dis-moi, Rose ! Sur quoi on va travailler ? J’ai hâte de commencer !
De retour dans leur bureau, Rose lui exposa les affaires en cours. Il tira deux feuilles de parchemin d'un petit tiroir qu'il fit glisser à June. Là, elle se trouva face à deux portraits. Sur le premier, elle reconnut la vampire au sourire cruel avec son auréole de cheveux noir et sur le second, une troll au visage anguleux et encadré par deux rideaux de nattes lui lançait un regard féroce.
— Je ne sais pas quelles connaissances vous avez du monde criminel à Odrialc'h, mais il est important que vous reteniez les notions que je vais vous exposer, expliqua Rose.
La vampire était Sexta Stoker, dit l'Impératrice des Abysses. Elle méritait son titre pour se trouver à la tête du plus grand réseau de proxénétisme d'Eldarya, pour du trafic d'esclaves, d'organes et pour avoir commandité de nombreux meurtres. Sexta Stoker avait étendu son influence sur toute la plèbe criminelle et même avec les goules. Les enquêteurs avaient péniblement réuni des informations sur elle au fil des années, mais elle était insaisissable. À cause d'elle, Eldarya ne connaissait jamais la paix et le marché noir restait florissant. On lui prêtait aussi les histoires les plus folles, mais Rose ne s'en trenait qu'aux preuves.
La troll, elle, était connue sous le nom de Titan. Elle était à la tête du cartel le plus influent d'Eldarya, le cartel des Typhons, et on lui attribuait de sordides affaires de meurtres avec actes de barbarie. Rose raconta qu'il y avait trois ans, la police d'Odrialc'h avait perquisitionné une maison de maître occupée par un jeune couple. Le voisinage ne le voyait plus, mais comme les deux compagnes étaient souvent en déplacement pour le travail, il ne s'était tout d'abord pas inquiété. Puis un jour, l'un des voisins s'était rendu à Ningjing pour rendre visite à des amis et avait eu la bonne idée de vérifier la résidence secondaire du couple. Puisqu'il n'avait trouvé personne, il avait adressé un courrier urgent à la police d'Odrialc'h.
En arrivant sur les lieux, les enquêteurs avaient effectivement retrouvé les deux femmes dans leur cave, avec d'autres victimes. La scène était si atroce que certains enquêteurs avaient démissionné quand d'autres avaient contracté des maladies de l'esprit.
— Fiona et Sofia Leblanc travaillaient clandestinement avec des femmes de toutes espèces qui portaient des enfants pour des couples demandeurs. Elles avaient bâti une résidence au marché noir, d'après leurs comptes-rendus, et il y a fort à parier qu'elles avaient fait appel au cartel des Typhons pour leur emprunter de l'argent et leur donner les rennes de leur affaire pour qu'il se dégage un bénéfice. Cependant, elles avaient tenté d'escroquer le cartel qui s'est vengé.
Tous les détails sur Titan et l'Impératrice des Abysses se trouvaient dans des dossiers que June pouvait consulter à sa guise.
— L'enquête en cours consiste à faire des recherches sur le tap, trouver tous les réseaux et les démanteler, reprit Rose, mais il est impératif de relever la moindre information concernant le cartel des Typhon et Sexta Stoker.
June hocha la tête, redevenue sérieuse. Elle s’était emparé d’un parchemin sur lequel elle avait tracé plusieurs symboles, dont un brouillon rapide des deux visages, afin de ne rien oublier des explications du vampire. Le dossier était énorme, elle prendrait son temps pour le lire, car à la simple idée de se pencher sur les parchemins à la calligraphie pourtant impeccable, sa tête se mettait à la lancer.
— Très bien, fit la jeune femme. Et donc, par quoi on commence ?
— Par une affaire survenue ce matin dans le quartier d’Abenadur. Un couple sous l’emprise du tap s’est violemment disputé cette nuit et le mari a tué sa femme. Il ne s’en souvient plus, mais il est certain de l’avoir fait. Les gardes civils qui sont intervenus sont sur place et une missive vient d’arriver. J’ai moi-même fait un courrier au médecin légiste qui se rendra également sur la scène de crime. Nous allons donc résoudre cette affaire et en profiter pour trouver des informations sur le tap tout en gardant les Typhons et Sexta Stoker à l’esprit.
Le quartier d'Abenadur était connu pour être le nid de la violence. Cette dernière s'était installée comme une maladie incurable, gangrénant les rues et la population petit à petit devant des gardes civils impuissants. Les gens d'Abenadur avaient trouvé des maîtres aussi vils qu'eux, des fournisseurs de tap pour la plupart et quant à ceux qui venaient chercher des plaisirs charnels ou de la nourriture plus que douteuse, ils savaient comment se rendre au marché noir. Ils savaient ce que la police cherchait désespérément à savoir.
Le quartier d'Abenadur avait ses règles. Au fil des enquêtes, la police les apprenait et la première consistait à ne jamais regarder qui que ce soit dans les yeux, la seconde à toujours garder ses mains dans les poches et la troisième, à ne pas répondre aux insultes.
June pu constater très vite à quel point Rose ne pouvait pas se rendre sur le terrain sans une personne combattante. Ils s'étaient retrouvés au beau milieu d'une altercation. Une dispute de chiffonniers que les deux concernés voulaient résoudre à l'arme blanche. Après les avoir maîtrisés, June et Rose avaient pu reprendre leur route. Les rues étaient crasseuses et une odeur âcre d'urine et de déchets en décomposition s'élevait des pavés. Les gens jetaient le contenu de leur pot de chambre depuis leur fenêtre sans ménagement et les excréments restaient pourrir au soleil.
Parmi les habitations vétustes, des tavernes miteuses, des boutiques ésotériques, des étals qui vendaient de la nourriture soi-disant nourrissante et des lupanars bordaient la route. Abenadur était régi, de jour comme de nuit, par des cris, des rires, des pleurs ou bien le silence de mort de ceux qui quittaient cette dure réalité pour se réfugier dans des songes empoisonnés par le tap.
Bientôt, June et Rose atteignirent l'appartement de Zaig et Alana. L'endroit était balisé par des barrières métalliques, mais aussi par trois gardes civils qui campaient dehors et empêchaient les curieux de passer. Rose montra son insigne, expliqua que June n'avait pas encore la sienne et que c'était son premier jour, puis ils entrèrent dans le hall. Il était à l'image du quartier : le sol collait sous leurs semelles, des substances avaient été jetées contre les murs et des sacs de jutes remplis d'aliments pourris s'entassaient dans un coin. Zaig et Alana vivaient au premier étage. La porte de leur appartement était ouverte et dès qu'ils mirent un pied à l'intérieur, Rose glissa à June :
— Habituez-vous à ces odeurs, elles vous accompagneront souvent.
Ces odeurs. La première, c'était celle d'une viande froide, rance, agressive qui piquait le nez. Elle se mêlait à une forte puanteur d'urine, de sueur et d'excréments. La seconde, c'était celle de la chair brûlée. Pourtant, il n'y avait pas d'incendie. Rose indiqua à June que c'était l'odeur du tap. La jeune femme se retint de pincer le nez. Heureusement qu’elle n’était pas sensible, autrement, elle aurait rendu son déjeuner sur le tapis. Une légère nausée l’avait prise à l’entrée d’Abenadur, et depuis, elle s’assurait de respirer par la bouche pour ne pas l’empirer. A Eel, elle n’avait pas réellement été confrontée au tap, mais elle avait entendu parler de cette drogue dévastatrice, en constater les effets ne faisaient que renforcer son dégoût. Elle hocha la tête à l’intention de Rose, et focalisa son attention sur l’appartement.
Il y avait deux paires de chaussures qui traînaient dans l'entrée ainsi que des vestes jetées à terre. Quand ils arrivèrent dans le salon, les vestiges d'une dispute leur sautèrent aux yeux : la table basse était couchée sur le flanc, comme si quelqu'un avait trébuché dessus, des vases étaient éclatés au sol et des traces de sang de la forme d'empreintes de pieds partaient du salon pour se rendre vers la chambre à coucher. Une bouteille d'hydromel, vide, trônait sur la table, près d'un verre dont les restes de la boisson avaient été abandonnées au fond. Rose en approcha son nez. Ça sentait la chair brûlée.
Près d'un canapé au tissu rapeux, un triton d'une quarantaine d'années, dégingandé et au visage émacié se trouvait en compagnie de deux gardes civils. Ses cheveux gras, d'un blond sale, tombaient sur sa figure et ses yeux injectés de sang lançaient des regards hagards à toutes les personnes qui passaient la porte de son domicile. Mais ce qui ne manqua pas à Rose et June, c'était ses lèvres noires et craquelées.
L'un des gardes civils, un grand elfe, s'approcha du binôme :
— C'est vous les inspecteurs déployés sur place ?
— En effet, Rose Clarimonde et June Albalefko. Le médecin légiste est en route et pourra nous confirmer que c'est bel et bien un meurtre.
— Il n'aura pas grand-chose à faire, on a déjà les aveux du mari, pour ce que ça vaut. Vous allez voir, sa femme est allongée sur son lit, en petite culotte. Le mari s'est rendu compte qu'elle était morte quand elle ne s'est jamais levée pour prendre son petit déjeuner. Il se souvient qu'ils sont sortis hier soir, qu'ils se sont disputés sur le chemin du retour mais après, c'est le trou noir. Mais il n'y a qu'eux dans cet appartement et pas de traces d'effractions, donc il pense que c'est lui qui l'a tué.
June laissa ses yeux courir sur le salon ravagé. Elle fit quelques pas, s’efforçant de ne rien déplacer, puis jeta un regard aux pieds nus du triton. Ils étaient bien trop grands pour être responsables des traces ensanglantées au sol. La jeune femme tritura les mèches échappées de sa tresse. Il y avait visiblement eu une bagarre, et du tap semblait avoir été consommé dans l’appartement, mais elle ne comprenait pas d’où provenait le sang par terre. Elle attendait de voir l’état du cadavre pour tirer d’autres conclusions, et en attendant, elle s’approcha de l’homme en lissant sa natte cendrée.
— Est-ce que vous vous rappelez du sujet de votre dispute ? demanda-t-elle. Et est-ce que ça vous arrive souvent de vous disputer aussi violemment ?
Le triton plissa les yeux, comme pour émerger de sa torpeur, puis répondit d'une voix pâteuse :
— Ouais… Je suis serveur chez le vieux Bremann, en bas de la rue. Il propose pas que de la bouffe et de la boisson, il y a des filles et quelques gars qui travaillent pour lui. Je touche des pièces en plus quand je nettoie les chambres. Alana a toujours cru que je me tapais une fille de temps en temps, mais c'est pas vrai ! J'ai jamais rien fait.
— Où étiez-vous allés hier soir ? l'interrogea Rose, est-ce que vous vous souvenez ?
— Je me souviens juste qu'on était sorti voir un ami, raconta le triton en fronçant les sourcils, puis qu'en revenant, je me suis arrêté au boulot pour récupérer un extra de la veille. Un type avait payé pour avoir trois filles à lui tout seul. J'ai dû nettoyer la chambre derrière eux, alors Bremann m'a payé. Quand ma femme a appris ce qui s'était passé dans cette chambre, elle a cru que j'y étais et on s'est disputés. Mais après, plus rien. Je me souviens de rien.
Rose et June hochèrent la tête et le vampire pris des notes sur une feuille de parchemin. Au même instant, quelqu'un s'annonça dans l'entrée et un grand vampire apparut. Le teint blafard, un carré de cheveux blond paille, des yeux bleu dans lesquels pétillait une étincelle de malice, il transportait un sac besace. Ce qui frappa June et les gardes civils, ce fut sa chemise d'un orange criard, son pantalon brun et ses sandales à la mode des Côtes de Jade.
— Bonjour docteur, le salua Rose qui n'avait pas bronché, nous avons un cadavre pour vous.
— Messieurs-Dames. Je me doute que vous ne m'avez pas fait venir pour une bonne bière autour d'un feu de camp, mon brave ami. Cela dit je m'attelle volontiers à la tâche. Ma belle-mère est à la maison et si l'enfer existe, alors j'y vis.
Le médecin légiste se présenta à June et aux gardes civils. Il se nommait Asphodèle Sara et il exerçait à l'institut de médecine légale de la Grande Auréole, mais aussi à l'université comme professeur. Rose avait l'habitude de travailler avec lui et ne faisait pas cas de ses manières étranges.
— Je présume que vous êtes le chef de l'enquête ? lui demanda Asphodèle.
— En effet, répondit Rose, c'est le premier jour de ma binôme. Elle ne peut pas endosser cette responsabilité pour l'instant.
— Bien. Faites-moi un résumé de l'histoire et voyons le corps.
Rose s'appliqua à lui expliquer ce que tout le monde savait pour l'instant, puis fit signe à June de le suivre. Ils évitèrent les empreintes ensanglantées sur le sol. Asphodèle les examina brièvement, puis ajouta que si elles appartenaient à la femme, alors il le verrait sur ses pieds. Une fois dans la chambre, l'odeur de viande froide, d'urine et d'excréments s'intensifia. Sur le lit, gisait le cadavre d'une sirène, simplement vêtue d'une culotte souillée. Ses longs cheveux bruns reposaient sur son oreiller et hormis des traces de coupures sous ses pieds, elle ne présentait aucune autre lésion.
Asphodèle enfila une paire de gants, puis commença l'examen du cadavre, d'abord de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête.
Sans déranger le travail du légiste, June examina le corps. Le sang des empreintes appartenait visiblement à la défunte, ce qui collait avec le fait qu’elles n’allaient qu’en direction de la chambre. June enroula sa tresse autour de son poignet, se pencha en s’assurant de ne pas gêner Asphodèle, puis fit la moue en désignant la sirène.
— A moins qu’il ne l’ai tuée en la mangeant de l’intérieur, je ne comprends pas comment il aurait pu réussir son coup, remarqua-t-elle. Les coupures sous ses pieds ne me semblent pas non plus assez profondes pour qu’elle se soit vidée de son sang par là. Est-ce qu’elle n’a pas plutôt fait un surdosage de tap ?
Elle s’adressait autant à Rose qu’à Asphodèle, et s’assurait de parler suffisamment bas pour ne pas être entendue du triton.
— Des vases ont été brisés sur le sol et la bouteille qu'il y a sur la table, tout comme le verre et le fond de son contenu, sentent le tap, réfléchit Rose, si le couple était alcoolisé en rentrant chez eux et qu'ils ont ensuite consommé du tap, cela explique non seulement le trou de mémoire du mari et l'état du salon.
La femme aurait marché sur les bris de verre du vase cassé en allant se mettre au lit et le mari s'était sans doute cogné contre la table basse, la renversant sur le coup. S'il avait des bleus au niveau des genoux, Asphodèle les trouverait en l'examinant tout à l'heure.
— Eh bien voyez-vous, j'ai quelque chose, les prévint Asphodèle, venez voir.
Il avait ouvert son sac besace qui présentait tout un arsenal d'outils comme des pinces, des ciseaux pour couper les vêtements, ainsi que des produits alchimiques pour prendre la température du corps ou bien générer de la lumière dans des endroits sombres.
— À en juger la rigidité du cadavre et le relâchement des sphincters, la mort remonte à une douzaine d'heures. Le sang a aussi eu le temps de sécher sur ses pieds. Mais le plus curieux, c'est ceci.
Avec une pince, il avait écarté les mâchoires de la défunte. Il en attrapa une autre, plus petite, et retourna délicatement sa lèvre inférieure, qui présentait un joli bleu ainsi que la trace des dents. Deux traits horizontaux, nets.
June plissa les yeux. Elle posa la main sur sa bouche, appuya jusqu’à sentir ses dents presser contre la chair, puis essaya d’estimer la force nécessaire pour causer une telle plaie.
— Elle aurait été étouffée ? songea-t-elle à haute voix.
Elle promena ses yeux sur le lit. Si la sirène y était morte, alors il devait y avoir des indices sur l’identité du meurtrier, bien que le triton soit tout désigné. En rejoignant Asphodèle, June désigna le cadavre et fronça les sourcils.
— Est-ce que vous pensez qu’il a assez de force pour le faire ? Est-ce qu’elle s’est débattue ?
Elle se pencha instinctivement vers les mains de la femme. Si Asphodèle trouvait des traces de lutte, alors il faudrait examiner le triton pour s’assurer qu’il en portait aussi les stigmates. Autrement, si la sirène avait été étouffée dans le sommeil induit par le tap, il faudrait réfléchir différemment.
— Je n'ai pas de traces de lutte sur son corps, répondit le légiste, mais puisqu'elle avait consommé du tap, je doute qu'elle se soit débattue. En tout cas, elle a bel et bien été étouffée. Je vais finir mes prélèvements ici et ensuite, j'irai examiner le mari. Je trouverai peut-être quelque chose sur ses mains et quoi qu'il en soit, nos amis maîtres des illusions iront lui rafraîchir la mémoire durant son interrogatoire. En tout cas, mes chers, c'est un meurtre.
Asphodèle récupéra un échantillon de sang et d'urine pendant que Rose envoyait une missive aux pompes funèbres afin que le corps de la défunte soit transporté jusqu'à l'institut de médecine légale pour une autopsie. Quant au mari, il fut emmené jusqu'au bâtiment de police pour un interrogatoire et un examen médical qu'Asphodèle viendrait réaliser après son autopsie. La jeune femme avait dû être etoufée à main nues ou bien avec un oreiller. Celui du mari traînait par terre, mais rien ne prouvait qu'il ait servi à de noirs desseins.
La bouteille et le verre avaient été emportés pour analyses et une fois hors du quartier d'Abenadur, Rose expliqua à June :
— Les alchimistes ont mis au point un filtre qui permet d'analyser le tap dans le sang et les urines, mais aussi sur d'autres matières organiques et inorganiques. Au fil des enquêtes, nous avons remarqué des variations dans le tap, comme des signatures liées aux différents revendeurs. En analysant ce que nous avons récupéré sur la scène de crime, nous parviendront peut-être à remonter jusqu'au revendeur du couple.
Impressionnée, June hocha la tête. Ici, le tap semblait être une véritable malédiction… Elle se demandait bien ce qui était passé par la tête du triton, si tant était qu’il soit coupable, pour qu’il étouffe ainsi son épouse. Peut-être en avait-il eu assez de l’entendre crier ? Joseph avait eu raison de lui suggérer la police. Il y avait tellement de choses à penser qu’elle parvenait à se concentrer correctement, sans laisser son esprit vagabonder. Cela dit, June était déjà épuisée… Ce soir, elle était certaine de dormir d’une seule traite !
Après l'enquête sur le terrain, Rose lui indiqua qu'il prenait l'administratif en charge et qu'il existait un terrain d'entraînement, au sein de la police, sur lequel elle pourrait entretenir ses capacités physiques en compagnie des autres combattants. C'était crucial pour la suite des évènements et les prochaines enquêtes à venir.
— Je vais retourner au bureau, à présent, reprit Rose, vous pouvez aller vous entraîner ou rentrer chez vous. C'est votre premier jour et vous avez déjà vécu beaucoup de choses. Certaines recrues ne reviennent pas le lendemain, j'espère que vous, vous reviendrez. Bonne journée, June.
Ce devait être l’équivalent d’un compliment dans la bouche de Rose Clarimonde. En tout cas, June décida de le prendre comme tel. Les joues rosies par la fierté, elle décida d’aller voir le terrain d'entraînement, au moins pour faire connaissance avec les autres combattants, et peut-être y retrouver Isaac afin de partager ses premières impressions. Et tandis que Rose se détournait pour regagner son antre, June agita la main, tout sourire.
— Bonne journée, Rose ! A demain, sans faute ! Je t’apporterais des biscuits, ma mère est super douée pour les faire !
— D’accord.
Rose lui jeta un regard en biais, puis rejoignit le bâtiment de police. Mais désormais, il était assuré de pouvoir retourner sur le terrain, puisque sa binôme allait revenir le lendemain.
Le Grand Palais d'Odrialc'h
Assise dans un grand fauteuil aux broderies somptueuses, Cyriandil Alfirin ressemblait à une reine sur son trône. Un roman terrien entre ses mains délicates, elle se délectait de la littérature humaine, si riche comparée aux auteurs eldaryens avec un esprit si pauvre. Cyriandil tenait l'ouvrage comme s'il était serti de pierres précieuses pendant que ses yeux céruléens balayaient les lignes les unes après les autres.
L'enfer où tu seras, c'est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu ! contait le livre d'un être humain répondant au nom de Victor Hugo. Il écrivait une cathédrale impressionnante telle une Dame de pierre et si elle était réelle, si elle avait pu traverser les époques, Cyriandil aimerait la voir. Eldarya avait-elle fait mieux que cela ? Odrialc'h l'avait-elle fait ?
L'elfe élégante poussa un soupir et interrompit sa lecture. Elle se redressa dans son fauteuil, si digne dans sa robe merveilleuse où des roses bleues couraient pour fleurir avec des broderies d'or, mettant son regard en valeur ainsi que son chignon châtain piqué avec un peigne aux perles nacrées. Deux mèches bouclaient autour de son visage ovale au teint pâle, que des lèvres maquillées d'un bois de rose venaient réhausser. Cyriandil se composa un air neutre et attendit la venue d'Hélios pour leur entretien journalier, peu avant l'heure du thé, comme d'habitude.
Aussi ponctuelle qu’un coucou d’horloger, ce fut d’un pas léger que l’atalante se présenta à la porte, toqua trois fois et attendit qu’on lui demande d’entrer. Un sourire jovial et poli ourla ses lèvres, tandis qu’elle s’assura rapidement que sa tenue, sa coiffure et le léger maquillage qui illuminait son teint étaient tous irréprochables. C’était l’un des impératifs de son poste, et la jeune femme savait comment le respecter à la lettre.
Elle faisait bien, car Cyriandil Alfirin ne manqua pas de s'attarder sur son apparence afin d'aviser s'il y avait quelque chose à redire. Mais il n'y avait rien, Helios était aussi parfaite que d'ordinaire.
— Est-ce que Sheraz a bien dormi ? s'enquit Dame Alfirin d'un ton détaché sans saluer l'atalante.
Ensuite, elle lui demandera s'il avait bien mangé, s'il avait eu des propos étranges et s'il attendait des nouvelles du Nord, de son cher ami ailé que Cyriandil n'appréciait pas. Si tout était en ordre, la Dame serait tranquille, si ça n'était pas le cas, alors elle donnerait des consignes supplémentaires.
— Le jeune maître a eu une nuit difficile, répondit Hélios. Il m’a fait savoir que dormir ne lui apportait pas le repos dont il a besoin, et que son sommeil n’est pas réparateur.
Elle décrivit soigneusement les symptômes que lui avait rapportés Sheraz, en précisant qu’il s’agissait toujours des mêmes, et qu’ils ne s'étaient pas aggravés, mais pas améliorés non plus. Ensuite, Hélios continua son rapport en indiquant que son maître attendait en effet des nouvelles de maître Sira, et qu’elle s’était assurée qu’il mange bien tout son petit déjeuner.
— Nous n’avons pas reçu de courrier de la part de maître Sira Milliget, continua-t-elle. Je l’ai signifié au jeune maître, et il n’a pas insisté à ce sujet.
Elle garda pour elle son inquiétude pour Sheraz, car elle n’avait pas sa place dans l’entretien journalier. Elle savait que sa maîtresse trouverait ça malvenu, alors Hélios s’inclina brièvement pour indiquer qu’elle avait terminé son rapport, avant de se redresser gracieusement dans l’attente d’autres questions ou d’autres ordres.
Cyriandil hocha la tête. Il est difficile de savoir ce qu'elle pensait mais quoi qu'il en soit, tout était comme d'habitude. La Dame se détendit quelque peu et ordonna à Helios que lorsqu'elle sortira de l'entretien, elle devra prendre contact avec le médecin de Sheraz afin qu'il change son traitement pour dormir.
— Vous prendrez soin de lui donner ses médicaments à heures fixes, comme d'habitude, lui intima Cyriandil, j'espère qu'il finira par dormir convenablement… Sheraz ne pourra pas se montrer au grand public pendant les sélections s'il ressemble à un cadavre.
La Dame acheva sa phrase avec une pointe de sarcasme. Elle finit par pousser un soupir et balayer de la main l'état de santé de son fils comme s'il n'était qu'une préoccupation mineure. Enfin, elle leva ses beaux yeux vers Hélios et lui adressa un sourire très doux, signe que l'atalante est digne d'intérêt pour les minutes qui vont suivre.
— Hier, lors du dîner, Sheraz a émit l'idée de vous recommander auprès de Dame Malda pour l'épauler dans la difficile organisation des sélections du nouveau serviteur personnel de notre bien-aimée Capitaine Gra Ysul. Après une discussion avec mon mari, il est vrai que cela pourrait permettre à notre famille d'apporter sa pierre à ce glorieux édifice. Je pense que vous avez beaucoup à apporter à Dame Malda, n'est-ce pas Hélios ? Vos talents d'alchimistes ne sont plus à prouver et votre sourire est salutaire pour ce palais. N'ai-je pas raison ?
L’atalante baissa la tête avec humilité, tandis que ses mains se croisaient sagement sur ses genoux.
— Je ne fais que rendre aux Alfirins ce qu’ils me donnent, ma Dame, répondit-elle. Servir votre famille est un honneur, et si mes talents peuvent être mis à votre disposition encore plus qu’ils ne le sont déjà, c’est avec plaisir que je les utiliserais.
Elle releva le menton pour sourire, d’un air doux et sage. Cyriandil avait raison, elle le savait, mais se montrer vaniteux n’était ni bon, ni dans sa nature. Hélios était une alchimiste douée, et sa palette de sourires ainsi que sa bonne humeur apportait un vent de fraîcheur bienvenu dans un palais où les chuchotements étaient la norme. Elle se savait appréciée de beaucoup, et elle ne doutait pas qu’en effet, sa présence aux sélections donnera un poids certain aux Alfirins. Mais ce qu’elle ne dira jamais à Cyriandil, et sans doute jamais à Sheraz non plus, c’était que sa curiosité insatiable lui interdisait de manquer une telle opportunité.
— Bien, alors c'est décidé, répondit Cyriandil d'une voix tranquille, je vais m'entretenir auprès de Dame Malda pour soumettre votre candidature. Je suis certaine que vous aurez de bonnes idées pour la soutenir lors de cet évènement.
Puis, la Dame croisa religieusement ses mains sur ses genoux, et ajouta d'une voix plus douce :
— Aussi, Hélios, tout comme vous et toutes les personnes du palais, je suis très curieuse de découvrir le grand gagnant ou bien la grande gagnante de ces sélections. Mais en attendant cet instant, je vous demanderai de vous montrer aimable avec Wan Zi. Je ne doute pas du contraire, mais ce serait préférable que vous vous appréciez.
Si le vainqueur des sélections était une femme, Hélios épousera Wan Zi, le serviteur personnel des Fontaine, avec lequel elle pouvait être compatible pour enfanter. Si le vainqueur des sélections était un homme, en revanche, alors Cyriandil et son mari changeraient peut-être d'avis.
Hélios remercia sa maîtresse pour cette opportunité et cacha sa déception avec brio. Wan Zi n’était certainement pas premier dans le classement de ceux avec qui elle voudrait partager sa vie, mais après tout, elle savait qu’elle n’avait pas son mot à dire sur la question. Si c’était ce qu’avaient décidé ses maîtres, alors elle épousera le faelien originaire de la cité de Ningjing, même si elle savait que cette union sera dépourvue de passion.
— Bien, ma Dame, répondit-elle tranquillement. Puis-je participer à des activités officielles en sa compagnie, ou est-il préférable que j’attende ?
— Non, indiqua Cyriandil, montrez-vous en société avec lui dès que possible et si Wan Zi vous propose une invitation, vous avez mon autorisation. Inutile de demander celle de Sheraz.
Ensuite, la Dame Alfirin lui fit signe de disposer, mettant un terme à l'entretien. Après les salutations d'usage, l'atalante quitta la bibliothèque afin de regagner le couloir. À peine eut-elle posé un pied dehors qu'elle entendit miauler. En tournant la tête, Hélios remarqua que Céleste l'attendait au coin d'une intersection, visiblement alarmée. Ses trois paires d'yeux étaient rivées sur elle et lorsque l'atalante s'approcha, Céleste lui fit comprendre qu'il y avait urgence. Agile, elle guida Hélios en trottinant à pas pressés, vérifiant de temps à autre que sa suiveuse se trouvait toujours sur ses talons. Céleste la guida jusqu'à la chambre de Sheraz et quand Hélios ouvrit la porte, elle entendit d'affreux borborygmes, signe que le jeune maître n'avait pas gardé son repas dans son estomac.
Immédiatement, Hélios referma le panneau de bois et elle se précipita dans la salle de bain pour trouver Sheraz, la tête dans un pot de chambre. La jeune femme fila jusqu’à lui, se laissa tomber au sol et s’empressa d’attraper les longs cheveux de l’elfe pour les dégager de son visage. Adroite, elle s’empara également d’une petite serviette qu’elle trempa dans une bassine d’eau froide, puis elle l’apposa sur le cou dégagé tout en se mordant la lèvre d’un air inquiet.
— Là, je suis là, tout va bien, souffla-t-elle avec douceur.
Elle caressa son dos pour le réconforter, et continua de murmurer des paroles rassurantes pour lui offrir l’appui dont il avait besoin. Hélios grimaça : elle compatissait plus que de raison avec Sheraz, car elle-même avait en sainte horreur la simple idée de vomir.
Lorsque le jeune elfe fut enfin tranquille, il resta quelques secondes au-dessus du pot de chambre, le souffle court, les larmes aux yeux, puis se redressa enfin. Il attrapa la serviette qu'Hélios lui tendit afin de s'essuyer la bouche, puis ferma les paupières pour reprendre ses esprits. Enfin, il tourna la tête, puis réalisa qu'Hélios était belle et bien présente.
Sheraz était pâle comme la Mort. Des lourdes cernes soulignaient ses yeux, preuve que son sommeil n'était jamais réparateur et son regard noisette était terne. Sheraz se mit à renifler pendant que Céleste vint se frotter contre lui en ronronnant, puis il se mit à parler d'une voix hachée :
— Hélios… C'est… J'avais mal au ventre, et c'est arrivé. Je vais vider le baquet moi-même.
— Vous allez vous remettre au lit immédiatement et laisser ce baquet à sa place.
Hélios s’était redressée, les mains sur les hanches. Elle fronça les sourcils, le défiant de désobéir à son ordre. Sheraz n'allait pas bien, pas bien du tout, mais avant de décider d’en avertir le médecin ou sa mère, elle allait s’assurer que le jeune elfe était au chaud, et qu’il ne manquait de rien.
— Allez, enjoignit-elle en lui désignant la chambre.
Sheraz répugnait à laisser Hélios réaliser une besogne comme celle-ci. D'habitude, si l'envie de rendre lui arrivait en pleine nuit, il se débrouillait pour évacuer ses propres rebuts lui-même. Mais il finit par abdiquer et parti s'asseoir sur son lit. Sheraz avait l'impression que tous les vêtements qu'il portait pesaient trop lourd sur ses épaules. Lorsque Hélios eut terminé de vider le pot de chambre, elle vint l'aider à se déshabiller afin qu'il enfile une chemise de nuit, puis il s'allongea. Sheraz poussa un long soupir. Son ventre le faisait toujours souffrir et l'affreux goût qu'il avait dans la bouche le dégoûtait, mais s'il buvait, il craignait même de rendre l'eau.
— Hélios, l'interpella-t-il, est-ce que vous pouvez medonner le médicament pour dormir, s'il vous plaît ? Je voudrais simplement dormir paisiblement sans rêver.
Elle fit la moue en réarrangeant les draps. Au moins, cela coïncidait avec les ordres de sa Dame… Hélios s'assit sur le bord du lit, une petite éponge entre les doigts, pour la passer sur le front de Sheraz.
— Ne souhaitez-vous pas plutôt que le docteur Le Preux vienne pour s’assurer de votre état ? demanda-t-elle avec douceur. Il pourrait peut-être vous prescrire quelque chose pour votre ventre, pour éviter de rendre vos repas… Vous êtes très pâle, Sheraz, j’ai peur qu’un médicament pour dormir ne suffise pas à vous remettre d’aplomb…
— Je sais, mais… J'en ai assez d'être ainsi.
Il avait soufflé ces derniers mots et bien qu'il tâchait de garder un semblant de dignité face à Hélios, ses yeux noisettes devirent humides. Lorsque Céleste sauta sur le lit, elle se roula en boule sur son bras, ses trois têtes reposant sur son épaule. Puis, Sheraz hésita, mais finit tout de même pas demander :
— Pendant votre entretien avec Mère, est-ce qu'elle a eu un mot gentil à mon égard ?
Il savait qu'elle n'avait sûrement rien dit, mais peut-être qu'elle s'inquiétait quand même et qu'elle lui rendra visite plus tard.
Hélios soupira. Parfois, elle était effarée de voir l’état dans lequel se trouvait Sheraz, et que personne ne s’en inquiétait. Elle lui adressa toutefois un sourire gentil en passant son éponge sur ses joues.
— Ma Dame s’inquiète pour vous, jeune maître, mentit-elle avec aplomb. Elle s’est enquis de votre sommeil, de la qualité de votre petit-déjeuner et aussi de votre correspondance avec Maître Sira. Je suis certaine qu’elle va essayer de se renseigner pour savoir pourquoi il ne vous a pas encore répondu, d’ailleurs.
Puis son sourire se fit plus soucieux, alors qu’elle fixait ses cernes et son teint blafard.
— Voulez-vous que je reste près de vous, jeune maître ? demanda-t-elle. Je peux aller chercher le médecin et revenir vous tenir compagnie. Ma grande sœur me chantait souvent des comptines quand j’étais malade. Qu’en dites-vous ?
Sheraz hocha la tête. Il était rassuré d'entendre que sa mère s'inquiétait au moins un petit peu et même si le docteur Le Preux réajustait simplement son traitement, il n'avait pas le cœur à rester seul, alors il accepta. Mais il aimerait entendre une chanson en particulier.
— Hélios, vous vous souvenez ? Quand vous êtes arrivée au grand palais, Sira nous a appris une chanson dans sa langue. Une fois que le médecin sera parti et qu'il n'y aura plus que moi pour écouter, pourrez-vous me la chanter ?
Vishe, omirah, vishe, Imzah li yiliatt, Mak kosshioli omirah.... Chantes, rossignol, chantes, dans la nuit, mon doux rossignol… Sira chantait souvent cette chanson et quand ils étaient tous les trois, Sheraz et Hélios chantaient avec lui. L'atalante se mettait même à danser.
Aujourd'hui, Sira n'était plus là, mais si Sheraz pouvait au moins entendre la langue des fées, alors il se sentira un petit peu mieux.
Hélios acquiesca. Bien sûr qu’elle pouvait lui chanter cette chanson, et des dizaines d’autres s’il le souhaitait. Sa loyauté allait aux Alfirins, mais plus encore à ce jeune maître malade reclu dans une chambre bien trop grande. Elle caressa les têtes de Céleste en lui faisant promettre de rester auprès de Sheraz, puis assura qu’elle revenait aussi vite que possible, avec sa lyre et le médecin. Elle chantera jusqu’à ce qu’il s’endorme et même encore après, et quand il s’éveillera, elle sera là aussi, pour qu’il sache qu’il n’est pas tout seul.
L'Heure du Goûter au Grand Palais d'Odrialc'h
À l'heure du goûter, toute la noble jeunesse du grand palais se rassemblait près des jardins afin de profiter d'un moment convivial. La grande porte-fenêtre laissait entrer la lumière naturelle et offrait une vue imprenable sur le paysage magnifique, modelé par les meilleurs jardiniers d'Eldarya. Bien souvent, après le thé, beaucoup de jeunes gens appréciaient de s'y promener ou bien de jouer à un jeu bien singulier où il était question de faire passer une balle à travers des anneaux, à l'aide d'un maillet.
Les senteurs épicées, terreuses, florales, fruitées et savoureuses se mêlaient pour appeler à la dégustation de thé ou de café. Des serviteurs de bas rang dressaient toujours une table impeccable. Outre les boissons, de belles pâtisseries côtoyaient des fruits exotiques dont la population des quartiers ordinaires n'avait pas connaissance. Ceux qui ne seront pas mangés raviront l'estomac de ces mêmes serviteurs qui, bien qu'invisibles aux yeux de la noblesse, grattaient ces quelques avantages depuis leur petite place, comme des musaroses en quête de miettes.
Comme tous les autres nobles, Sheraz était convié à l'heure du thé. Qu'il se sente fébrile ou non, il devait faire bonne figure et acte de présence au nom de la famille Alfirin. Ce genre de moment, bien que convivial, était surtout un moyen de mesurer la grandeur d'une famille et de montrer ses atouts. Sheraz avait toujours la hantise de faillir devant autrui. Il devait rester du début à la fin car il était mal avisé de s'éclipser en plein milieu du goûter. D'ailleurs, il devra manger et tout garder jusqu'à la fin.
Lorsqu'ils arrivèrent sur les lieux, avec Hélios, Sheraz avisa que ses camarades étaient déjà présents. Il y avait là Faust Fontaine, accompagné de Liu Wan Zi, son serviteur personnel. Faust était connu pour s'intéresser aux pseudo-sciences de l'esprit ainsi qu'à la philosophie. Pour satisfaire ses conversations complexes, il lui fallait un serviteur doté d'un esprit érudit comme le sien et c'était Wan Zi qui avait remporté les sélections. Pourtant, à les regarder, ils ressemblaient à des antonymes. Wan Zi arborait toujours des tenues rouge et or rappelant les Côtes de Jade ainsi que Ningjing, sa cité d'origine. Il rassemblait ses très longs cheveux sombres en une natte épaisse dans laquelle il mêlait accessoires et fils d'or. Son visage exprimait toujours une grande patience et une sérénité sans pareille et quand il parlait, c'était d'une voix très posée.
Faust Fontaine, lui, était la somme de l'éducation sévère de ses parents. Il était un elfe noir à la longue chevelure de jais, rassemblée en une queue de cheval basse et il portait des tenus très classiques. Il aspirait à prendre la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h, une fois que l'éminente Ysul Gra Bolumbahsh prendrait sa retraite, et il a toutes les chances d'y arriver. De tous les jeunes nobles rassemblés en ces lieux, Faust était de loin le meilleur élève. Cela faisait toujours grimacer Ekaterina Orécaille, de l'illustre famille de brodeurs Orécaille.
Ekaterina se présentait en compagnie de sa grande sœur, Olga. Les deux sirènes aux cheveux d'or et aux robes vaporeuses ressemblaient à de magnifiques poupées.
Stella, leur servante personnelle, pouvait se targuer de s'occuper de ses deux maîtresses, contrairement à ses collègues. Des sélections devaient avoir lieu pour Ekaterina, mais puisque l'on organisait celles de la Capitaine, il aurait été inconvenant de le faire. Stella devait donc attendre.
De toute façon, l'heure du thé était surtout l'heure des faux semblants et Sheraz était fort heureux que les serviteurs puissent accompagner leurs maîtres. D’ailleurs, Hélios s’avança, toute en grâce et en délicatesse, pour l’annoncer d’une voix claire. Ses yeux verts parcoururent l’assistance, gardant pour eux ce qu’elle pensait des jeunes nobles et de leurs serviteurs. Elle se fendit toutefois d’une révérence pour les premiers, et d’un sourire pour Wan Zi, comme le lui avait demandé sa maîtresse.
Pourtant, Hélios n’en pensait pas moins. Les Orécaille étaient belles, mais elle n’avait jamais réussi à leur faire confiance. Si on lui avait demandé de les servir, Hélios aurait refusé. Personne ne savait ce qu’il se passait derrière leurs visages de poupée, et elle doutait que les deux sœurs pouvaient être aussi gentilles que Sheraz. Quant à Faust, il était effectivement insipide, comme se plaîsait à le rappeler Ekaterina. Hélios l’aimait bien, parce qu’il était amusant de le taquiner. Bien sûr, elle ne s’y risquait pas frontalement. Elle le faisait quand elle dansait pour le plaisir des nobles, car il suffisait d’un regard un peu plus appuyé ou d’une pirouette particulièrement audacieuse pour faire rougir l’elfe noir.
L’atalante s’écarta pour laisser Sheraz entrer. Elle veilla discrètement sur lui, car elle savait que l’heure du thé était toujours difficile. Hélios jeta un oeil aux pâtisseries disposées sur la table, repérant les moins lourdes, les plus faciles à digérer, réfléchissant déjà à la meilleure façon de les présenter à son maître pour qu’il puisse manger en petites quantités, sans éveiller les soupçons des autres nobles quant à sa santé connue pour être fragile.
— Ah ! Sheraz Alfirin ! s'exclama Ekaterina en tapant dans ses mains, je suis vraiment contente de vous voir !
La sirène lui adressa un sourire resplendissant mais à en aviser la moue déçue que sa grande sœur tentait de masquer à tout prix, la présence de Sheraz avait dû être le sujet d'un paris.
Avec son chignon de cheveux blonds piqué de perles nacrés, sa peau pâle et ses écailles roses, elle ressemblait à une véritable poupée. Les émissaires et nobles familles de contrées lointaines se laissaient toujours charmer par les filles Orécaille. Les prétendants ne manquaient pas pourtant, leurs parents discutaient beaucoup d'un mariage entre Olga et Faust, au grand damn de ce dernier.
— Je vous remercie pour votre enthousiasme, répondit doucement Sheraz.
— Je vous en prie ! Vous savez, il ne se passe pas grand chose dans ce palais, alors vos apparitions sont le frisson du mystère qui nous manque grandement en ce moment.
Sheraz piqua un fard, mais se composa une moue aimable. Faust Fontaine le salua d'un ton poli, de même pour les autres jeunes de plus petite noblesse. Le goûter peut enfin commencer. Sheraz s'installa près de Faust, comme le souhaitait ses parents. Il avait appris la décision de sa mère concernant Hélios et bien qu'il s'y attendait, il ne pouvait pas s'empêcher d'être mal à l'aise pour cette dernière. D'ailleurs, Wan Zi avait dû également recevoir des consignes très claires de la part de ses propres maîtres car lorsque Hélios commença à servir le thé, il s'empressa de lui apporter de l'aide. Le ballet n'échappait pas aux Orécaille, bien entendu.
— Nos parents ont rapporté du thé aux épices, avec de la coriandre, du curcuma, de la réglisse et des clous de girofles. Voudriez-vous y goûter ? proposa Olga.
Sheraz s'empressa de grimacer. Il détestait ce thé qui lui donnait mal au ventre. C'était comme la dernière fois où on avait absolument voulu lui faire goûter du café. Il n'avait pas pu garder ce qu'il avait mangé, tant son estomac exécrait cette boisson amère et grasse.
— Merci, Olga, mais je pense me laisser tenter par un thé à la lavande et à la bergamotte.
— Si je peux me permettre, intervint Faust, cela vous siéra bien mieux. Je doute que les épices soient adaptées à vos soucis de santé.
Le constat tomba comme un couperet et Sheraz lutta pour ne pas se décomposer. Il respira avec discrétion, puis se hâta de remercier son voisin de table pour sa sollicitude avant de lui assurer qu'il allait bien.
— Hum, songea Ekaterina, pourtant nous nous sommes inquiétées ces derniers jours. Vous avez été très malade, paraît-il. D'ailleurs, il suffit de regarder Hélios pour voir qu'elle ne dort pas très bien ! Voyez son teint !
L’atalante ne perdit rien de sa grâce quand elle se pencha pour servir une petite tartelette aux fruits sucrés à Sheraz, s’assurant au passage qu’il n’y avait ni crème, ni acide, puis elle se tourna vers Ekaterina en s’inclinant joyeusement.
— Votre sollicitude me touche énormément, ma Dame, répondit-elle. Je crains toutefois de devoir vous contredire : mon teint ne dépend en rien de la qualité de mon sommeil, excellente au demeurant. Voyez-vous, les atalantes ont naturellement une carnation qui rappelle celles des plantes.
Elle se plaça derrière Sheraz et en profita pour tourner sa main vers les rayons du soleil qui perçaient la vitre. Sa peau pris de légers reflets verts, qui lui tira un sourire tout juste assez suffisant pour ne pas être perçu comme insolent.
— Le temps était couvert ces derniers jours, fit-elle semblant de déplorer. Telle une fleur dépérissant sans sa douce lumière, il m’est difficile de paraître à mon avantage lorsque sire soleil se montre timide.
Puis elle baissa la voix, prenant un ton complice comme si la conversation était anodine.
— En réalité, ma Dame, mon jeune maître et moi-même avons entendu dire que la coriandre pouvait justement assombrir le teint lorsqu’on la consommait en trop grande quantité. Ce ne sont peut-être que de simples suppositions, mais mon jeune maître préfère prévenir que guérir, il sera dommage de gâcher sa délicate carnation avec cette épice…
— Eh bien, Sheraz, vous avez une servante si intelligente ! commenta Ekaterina avec une admiration exagérée, je comprends pourquoi elle est si jolie, c'est une vraie plante !
Mais son regard bleu trahit l'humiliation cuisante qu'elle devait digérer. Sheraz, quant à lui, se sentit satisfait d'aviser qu'Hélios s'était défendue. Néanmoins, il savait qu'Ekaterina n'en restera pas là. D'ailleurs, elle choisit de changer de cible :
— Au fait, Faust, est-ce que Wan Zi doit porter du rouge en permanence ? Sa garde-robe est-elle si pauvre ?
— Ne vous préoccupez pas de mon serviteur, je vous prie, répliqua Faust pendant que Wan Zi lui servit une part de fondant au chocolat, ce n'est pas pour sa garde-robe que je l'ai choisie.
— Tsss, vous êtes si froid…
La sirène grimaça en fusillant Faust du regard. Ce dernier, loin de s'en formaliser, intima à son serviteur de se prendre quelque chose, à son tour et conformément aux instructions qu'il avait reçues, Wan Zi s'appliqua à servir Hélios la première.
Stella servit du thé à ses maîtresses et Ekaterina porta la tasse à ses lèvres, non sans cesser de regarder les convives alentour, comme si elle cherchait sa prochaine cible. Hélios espérait que ce goûter soit vite terminé. Au grand palais, elle avait appris la patience et l’art de s’oublier, mais aujourd’hui, elle était mise à rude épreuve. Elle composa une nouvelle assiette pour Sheraz, avec des pâtisseries aux fruits sans trop de crème, qu’elle accompagna d’un autre thé qui ne devrait pas peser sur l’estomac de son maître.
L'elfe Alfirin bu une gorgée de son thé. L'arôme était apaisant et le goût ne lui donnait pas envie de vomir. Il jeta un coup d'œil à son assiette et songea qu'il devra faire l'effort de grignoter une pâtisserie du bout des dents sinon, des rumeurs folles sur ses soucis de santé continueraientt d'être alimentées.
— J'aimerais vous partager une bonne nouvelle, déclara-t-il d'une voix qu'il voulait assurée, Dame Malda a sélectionné la candidature d'Hélios pour les prochaines sélections.
Les figures des sœurs Orécaille valaient leur pesant d'or et Sheraz devait avouer qu'il s'en délectait un petit peu. La jalousie piqua une pointe dans leurs cœurs alors qu'elles se forçaient à féliciter l'atalante avec un sourire trop grand.
— Mes plus sincères félicitations à vous Hélios, ainsi qu'à la famille Alfirin, adressa Faust d'un ton neutre.
Les sélections ne l'avaient jamais intéressées et il n'avait pas tenu à ce que Wan Zi y participe, alors il s'en moquait. Hélios arbora un air humble. Elle n’en voulait absolument pas à son jeune maître de faire d’elle le centre de l’attention : contrairement à lui, elle n’était pas dérangée par le regard des autres, et elle préfèrait que les langues la piquent elle, qui savait quoi dire pour s’en protéger, que lui qui n’était que douceur et gentillesse. Occupée à discuter courtoisement avec Wan Zi, elle se détourna poliment de la conversation pour hocher doucement la tête, les mains sagement croisées sur ses jupons.
— C’est un honneur de servir la famille Alfirin et de la représenter pour cet évènement, répondit-elle. Le choix du serviteur personnel de la Capitaine ne sera pas facile.
Hélios picora délicatement sa tartelette, savourant autant son goût acidulé que la jalousie des sœurs Orécaille. Elle en discutera plus tard avec Sheraz, ce sera l’occasion de redonner le sourire à son maître en plaisantant.
— J’ai hâte de voir les candidats, confia-t-elle sur un ton complice. Bien sûr, il est vain d’espérer deviner qui sera fait pour cette tâche, mais je ne peux m’empêcher d’essayer de l’imaginer. Après tout, nous serons tous amenés à côtoyer ce nouveau serviteur, alors il n’est pas idiot d’espérer qu’il nous soit sympathique, n’est-ce pas ?
— Je l'espère aussi, appuya Wan Zi, nous menons une entente cordiale entre serviteurs, il serait dommage qu'elle prenne fin à cause d'un élément perturbateur. Mais je fais confiance à Dame Malda pour être bonne juge.
— S'il est si gênant, la Capitaine refusera de la garder et le répudiera. Je ne vois pas pourquoi tout le monde s'inquiète, fit remarquer Faust.
Ekaterina poussa un long soupir en levant les yeux au ciel. Elle marmonna qu'il était vraiment pénible de se sentir obligé de gâcher les conversations avec son pragmatisme… Piquante, elle changea de discussion d'un geste de la main, comme si la participation d'Hélios aux sélections ne l'intéressait plus du tout.
— Nous n'avons pas de nouvelles du marquis Ville de Fer. La Capitaine l'avait pourtant emmené avec elle pour maintenir le dialogue entre Odrialc'h et les fées, depuis que les relations sont tendues. J'imagine qu'il est toujours coincé à Rhenia-Gaear.
Ekaterina se désintéressa de son thé ainsi que de sa pâtisserie pour faire mine de réfléchir, puis elle interpella Sheraz en tapant dans ses mains comme si elle venait de se rappeler de quelque chose :
— Ah, mais j'y pense ! Sheraz, vous avez des nouvelles de votre ami, Milliget ? Ce n'est pas lui qui avait tenu tête à la mère de la Capitaine, non ? Je me trompe, ce doit être un autre. Mais puisque vous étiez intime avec l'une des fées Milliget, vous avez peut-être de leurs nouvelles ?
— Je suis navré de vous décevoir, répondit Sheraz d'un ton calme, mais je n'ai pas de nouvelles de Sira.
— Sira, c'est cela…
Ekaterina et Olga échangèrent un regard de connivence. Sheraz s'était assombri, alors sa petite joie avec le partage de sa bonne nouvelle avait été douchée. Les soeurs Orécaille retournèrent à leur dégustation, satisfaites et face à Sheraz qui s'était figé, Ekaterina s'enquit :
— Vous ne mangez pas ? Vous ne vous sentez pas bien ?
L'elfe Alfirin lui lança un bref regard, puis retourna à sa tartelette qu'il picora. Hélios se retint de grincer des dents. Vraiment, entre Faust et les deux serseas, son maître n’était pas aidé. Elle se nota mentalement quelques moyens de venger les piques lancées par les sœurs Orécaille. Il exista bien des voies pour celui qui savait chercher, et elle était passée maîtresse dans ce domaine. Les affronts à la famille Alfirin, et encore plus ceux fait à son maître, n'étaient pas tolérables.
— Oh, mais suis-je bête ! s’exclama l’atalante en plaquant une main sur son front. Je vous avais promis un récital, jeune maître !
Elle se leva, épousseta ses jupes et adressa un sourire resplendissant aux autres participants.
— Ces derniers temps, le jeune maître s’est découvert une passion pour le violon. Il adore l’écouter en mangeant, et je le comprends tout à fait. On savoure bien mieux son repas avec une musique délicate qu’en écoutant les dernières nouveautés du grand palais.
Hélios s’inclina et fit quelques pas pour s’emparer d’un instrument, en continuant sur le ton de la conversation.
— Puis-je, jeune maître ?
Sheraz retrouva vite de sa lumière et acquiesça avec joie. La musique d'Hélios avait toujours le pouvoir de chasser ses pensées moroses, mais aussi de lui rappeler de bons souvenirs. De plus, il savait que pendant qu'Hélios dansait, Faust Fontaine, aussi froid et guindé soit-il, ne pouvait pas s'empêcher de la regarder, parce que l'atalante était une fleur qui s'épanouissait avec le soleil et la musique. Ça avait aussi le don de froisser les sœurs Orécaille car même si elles n'appréciaient pas le fils Fontaine, si ennuyeux, elles aimaient être regardées et quand Hélios dansait, elle captait toute l'attention.
— S'il vous plaît, Hélios, lui demanda Sheraz avec un sourire plus enthousiaste, pouvez-vous nous jouer le morceau que vous avez composé ? Je ne crois pas que ces messieurs-dames aient eu le loisir de l'écouter. Vous savez, celui que vous avez baptisé La Danse des Soleils Crachés ?
L’atalante s’exécuta de bonne grâce. Les premières notes s’élèvèrent, et avec elle, la danse qu’elle avait composée pour la chanson. Tant que son maître souriait, Hélios était satisfaite. Et si elle devait jouer tout l’après-midi pour qu’il continue de le faire, alors elle maniera son archer sans reprendre son souffle.
Sheraz se détendit alors que la musique prenait possession des lieux. Son thé avait meilleur goût, il dégusta religieusement sa pâtisserie et le moment détestable pu devenir agréable. Près de lui, Faust s'était lancé dans une conversation complexe avec son serviteur personnel. En fin de compte, les sœurs Orécaille furent livrées à elles-mêmes.
Hélios joua d'autres morceaux de son répertoire, jusqu'à ce que les convives finissent par quitter la table. Olga et Ekaterina partirent les premières, suivit de Faust qui regagna la bibliothèque des Fontaine et quand il se retrouva enfin seul, Sheraz pu faire tomber le masque et s'affaisser sur son siège.
Immédiatement, Hélios fut près de lui. Elle le couvrit d’un châle, avant de s’accroupir à ses côtés. La jeune femme prit délicatement sa main pour y faire quelques massages, une technique montrée par le docteur Le Preux, supposée soulager les maux de ventre.
— Tout va bien, Sheraz ? demanda-t-elle. Vous voulez rester ici encore un peu ? Prendre l’air vous ferait du bien.
— J'aimerais beaucoup me promener dans les jardins, Hélios. Mais je pense qu'il serait plus sage que je regagne ma chambre.
La bulle dans laquelle Sheraz se trouvait, grâce à la musique d'Hélios, venait d'éclater et à présent, son corps le rappelait à son bon souvenir. Des spasmes agitaient son ventre, comme s'il était en train de lutter contre le thé et la nourriture que Sheraz avait avalé. Son teint pâle était devenu livide. L'elfe Alfirin jeta un regard de détresse à Hélios, parce qu'il sentait qu'il était urgent de regagner sa chambre à coucher, mais surtout le baquet qu'il gardait à portée de main. Alors Hélios s’empressa de le ramener dans les couloirs, en s’assurant de prendre le chemin le plus rapide, mais surtout le plus aisé et le moins susceptible de leur faire croiser du monde, afin de pouvoir soutenir Sheraz sans que personne ne puisse douter de la santé de son maître.
Les Choix
Note : Attention ! À l'issue de son chapitre, vous avez deux choix à faire ! Un choix immédiat et un choix à long terme. Ne vous inquiétez pas, toutes les explications vous vont être données et si vous avez des questions, n'hésitez pas à les poser via le topic (ne vous inquiétez pas, de fantôme je suis enfin revenue à la vie).
Choix à long terme
En tant que Chef de l'Ombre, Nevra doit prendre les meilleures décisions pour sa Garde et la sécurité de la cité d'Eel. Ce choix peut vous permettre - ou non - de tisser un partenariat à long terme avec une noble famille eldaryenne.
Lorsque Nevra est venu rencontrer Miiko à propos du souci des douanes, cette dernière lui a conseillé de se tourner vers une noble famille eldaryenne. En effet, il n'y a pas assez d'argent pour renforcer la sécurité des douanes et former de nouveaux effectifs.
Que devrait faire Nevra ?
➜ Écouter les conseils de Miiko et se tourner vers la famille Fontaine. La famille Fontaine est connue pour détenir des parts importantes dans toutes les universités privées eldaryenne. De plus, le fils unique des Fontaine est un génie qui étudie afin de se retrouver à la tête du pôle judiciaire à Odrilac'h, une fois que l'éminente Ysul Gra Bolumbash aura pris sa retraite. Cela permettra à la Garde de l'Ombre d'avoir le soutien du pôle judiciaire d'Odrialc'h sur le long terme, mais aussi de lui rendre des comptes.
➜ Écouter les conseils de Miiko et se tourner vers l'éminente Ysul Gra Bolumbash, actuellement à la tête du pôle judiciaire d'Odrialc'h. Ysul est la mère de Shakalogat Gra Ysul, la très célèbre Capitaine du corps armée d'Odrialc'h. Elle est une personnalité importante du grand palais, mais elle n'apprécie pas beaucoup les parents de Nevra.
➜ Ne pas écouter les conseils de Miiko. Nevra se débrouillera autrement, même s'il n’a pas de plan pour le moment.
Choix Immédiat
L'enquête continue. Des gardiens de l'Obsidienne sont allés repousser les black dogs pour éviter une attaque sur Albacore et Fawkes a accompagné Valkyon ainsi qu'une escouade à l'endroit où il a trouvé le cadavre d'un black dog empoisonné au tap. Nevra est certain qu'une goule est venue cartographier la zone afin d'implanter son petit trafic du tap, mais il est impossible qu'elle soit passée inaperçu.
Nevra soupçonne les morgans du village d'Amzer de cacher quelque chose. Que devrait-il faire ?
➜ Envoyer Enthraa mener l'enquête au village d'Amzer pendant que Nevra attend le rapport de Fawkes.
➜ Se rendre lui-même au village d'Amzer avec des gardiens de l'Ombre pour mener l'enquête.
➜ Ne rien faire pour le moment et attendre le retour de Valkyon et de Fawkes pour en discuter avec eux.
UNIQUEMENT pour Waitikka :
Fawkes est actuellement en mission mais avant de partir, Nevra lui a demandé s'il souhaitait se porter volontaire pour l'accompagner durant le prochain transfert de criminels sur l'Île Zéro, au royaume des fées. Fawkes sait déjà que ceux qui y sont allés ne veulent plus y retourner et que le geôlier, avec lequel il devra traiter, est particulièrement terrifiant. En échange de son volontariat, Nevra lui promet une belle prime sur son salaire. Que décide Fawkes ?
➜ Accepter d'accompagner son Chef sur l'Île Zéro.
➜ Refuser d'accompagner son Chef sur l'Île Zéro.
UNIQUEMENT pour Florianne :
Durant son entrevue avec la reine Delta, cette dernière a fait un rappel à Théanore concernant l'importance de la famille. En effet, Lezat, le geôlier de la prison, s'est reclu là-bas plutôt que de vivre dans le foyer de ses frères et sœurs. Théanore le soupçonne d'agir ainsi pour épargner son aspect terrifiant et son esprit troublé à son adelphie. Néanmoins et à cause de ses tâches, Théanore n'a pas pu lui rendre visite depuis un long moment. Que devrait-il faire ?
➜ Lui rendre visite, seul.
➜ Se rendre au colisé pour voir ses sœurs (Mu, Gamma et Epsilon) et leur proposer d'aller rendre visite à Lezat, ensemble, une fois qu'elles auront fini leur entraînement.
➜ Ne pas déranger Mu, Gamma et Epsilon durant leur entraînement et proposer à Resha de l'accompagner, mais Sira devra venir également.
➜ Ne pas rendre visite à Lezat. Il ira plus tard.
UNIQUEMENT pour MayaShiz :
June semble ravie de sa toute première enquête en tant qu'apprentie inspectrice. Même si son binôme est assez lugubre, il prend le temps de lui apprendre le métier. En arrivant au travail ce matin, Rose lui fait une demande singulière : puisque June dessine, il voudrait qu'elle réalise le portrait d'une jeune sirène qui l'a attaqué, quelques jours avant que June prenne ses fonctions.
Lorsque tu seras prête, MayaShiz, contacte-moi par MP !
Vous avez jusqu'au vendredi 25 avril, 23h59, pour voter !
Dernière modification par Aespenn (Le 15-04-2025 à 13h16)